Memovelo

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Pistes et Vélodromes à Bordeaux et en Gironde, de la fin du XIXème au debut du XXème siècle

 

 

 

 

Préambule:

 

 

 Le choix de publier "la piste bordelaise" dans la revue "le Festin" s'est appuyé sur quelques préjugés : la qualité de la revue, son attachement au patrimoine et à l'architecture. Mais, il n'a pas été forcément judicieux dans la mesure où le lectorat potentiel au milieu cyliste ne fréquente guère cette revue, ni ce type de publication. La diffusion des informations et du message a été restreinte.

Par ailleurs, la politique éditoriale du "Festin" n'étant pas favorable aux articles trop longs, il m'a fallu raccourcir le texte et abandonner certaines illustrations. La revue, elle-même,  n'était jusque-là que trés faiblement ouverte à l'influence sportive. Et, je dois à M. Barraud Dany, conservateur en chef du patrimoine à la DRAC, d'avoir été retenu. Depuis, "le Festin" semble s'être ouvert à ce sujet, comme en témoigne la récente édition par ses services du livre "Naissance des sports en Gironde " de Francis Gonzalès.

Grâce à internet, par l'intermédiaire de "memovelo.fr", je peux aujourd'hui compléter ce qui pourrait constituer une vision d'ensemble et une approche historique de la spécificité du cyclisme bordelais. Cette spécificité s'inscrit dans le rapport de forces entre la piste et la route, ce rapport évoluant aussi avec le temps et les événements.

A cet égard, le succès d'une invention comme le Tour de France (cf. Serge Laget, "la route rattrape la piste", in l'Equipe du 20/08/2002), l'amélioration du réseau routier et la monotonie (parfois) de spectacles qui " tournent en rond" contribuent à faire qu'aujourd'hui un routier et un pistard sont deux cyclistes différents. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'amertume d'un Guy Lapébie qui allait répétant - l'âge n'aidant certes pas - "il n'y a plus de Vel'd'Hiv". La disparition du vélodrome d'hiver à Paris en 1959 marque vraiment la séparation sans retour entre les deux disciplines et les deux pratiques. Aujourd'hui, rares sont les routiers qui (re-) viennent sur la piste, même si quelques pistards (les Anglais, surtout) ont franchi avec succès le rubicond.

 

 

Entre routes et pistes : ce sera longtemps le dilemme

 

Entre la société du cheval et celle de l'automobile, dans la seconde moitié du XIXème siècle, l'homme invente un nouveau moyen de se déplacer auquel il donne le nom de vélocipèdie.  A partir de 1890, ce moyen de locomotion se nomme « bicyclette », ce qui correspond au diminutif de l'anglais « bicycle ». Mais, en matière de raccourci et, aussi, pour déjà aller plus vite, on se satisfait de « Vélo ». Comme on dit pour « vélo de course ».

 

En l'occurrence, les courses ce sont des compétitions et des concours qui détournent ainsi la bicyclette de sa fonction utilitaire : transporter, se déplacer d'un endroit a un autre. Ainsi, l'histoire de cet engin coïncide avec celle des débuts du sport, lequel joue avec la vitesse, la compétition et les records.

 

Cependant, le modèle de référence reste le cheval et les pratiques héritées de ce que les Anglais appellent le « turf ». Alors, le vêtement, la position et les épreuves sont imités de l'hippisme.  Et, comme il y a des hippodromes, bientôt il y a des vélodromes.

 

Mais, c’est un vétérinaire écossais J.B. Dunlop qui invente le pneumatique pour le tricycle de son fils.  Et, les frères Michelin le perfectionnent : ils fabriquent le pneumatique démontable.  Un peu plus tard, cela profite à l'automobile.  En effet, ce n’est pas encore l'idylle actuelle entre le caoutchouc et l'asphalte : les routes ne sont pas faciles et les vélos roulent mieux sur les pistes.

 

 

cartographie des pistes et des vélodromes :

 

 

 

(cliquez sur l'icône pour agrandir les données) 

 

 

(ces deux cartes ont été réalisées avec l'aide de Guy Talazac et à l'aide des données contenues dans "le livre d'or du cyclisme girondin" de Gabriel Belliard, 1934.)


 

 Nos recherches nous ont amené à concevoir "le temps des vélodromes" (Jean Bobet) en quatre grandes périodes distinctes :

 

. avant 1900 = la fin du XIXème siècles voit une soudaine multiplication des pistes ou vélodromes dans Bordeaux et en Gironde. Certain(e)s ont une existence assez brève (l'exemple de Mondésir : 3 ans !).

 

. au-delà de cette période, survit principalement, au début du XXème siècle, le vélodrome du Parc à Caudéran, lequel va se trouver (à partir de 1913) en concurrence avec le vélodrome de "la Côte d'Argent" à Talence (aujourd'hui, Suzon). Autour de cette rivalité se noue l'opposition entre deux conceptions du sport cycliste (grossièrement entre "amateurs" et "professionnels"). Il en résulte une scission au sein de l'UVF et la naissance de la FCSO (fédération cycliste du sud-ouest).

 

. à partir de 1923, la réalisation d'une piste dans le domaine de Lescure sur les conseils éclairés de R. Hue facilite l'union des deux mouvements. La mise en place d'un centre d'entrainement et l'organisation d'épreuves de détection (par exemple "la Médaille") participe à l'émergence   d'une école de la piste, d'où sont issus (entre autres) les frères Lapébie (Roger, 1926 et Guy, 1933) d'abord, et, après 1945, les frères Verdeun (Maurice, 1948 et Robert, 1954), André Darrigade (1949) et Jacques Suire (1960). La ville de Bordeaux et son maire (A. Marquet) construisent le "Stade municipal" (1936), la piste est refaite (ciment rose) et intégrée dans une architecture moderne. Désormais, elle cohabite avec le football professionnel.

 

. en 1986, "le football avala l'anneau de ciment" (Jean Ladoire) et les cyclistes bordelais durent attendre 1989 pour bénéficier du Stadium du Lac, édifié sur les plans de l'architecte Taillibert et grâce à la volonté du maire, Jacques Chaban-Delmas. 25 ans plus tard, le Stadium connait une remise en question surprenante sous le joug du coût municipal de la gestion des installations sportives. Cependant qu'il est question d'édifier un "Grand Stade"… 

 

 

 

aujourd'hui,deux vélodromes et deux réunions le même dimanche ?

 

 

La dissidence de la FCSO et ses arguments :

 

 

Dans son numéro du 22 mars 1913, l’hebdomadaire « Sports » titre : « Evénement sensationnel ». Il s’agit de l’ouverture du « nouveau vélodrome de la Côte d’Argent » et le journal ajoute que «  Bordeaux, berceau du cyclisme » va « enfin posséder sa piste cycliste moderne » qui permettra « sans danger les vitesses les plus grandes ». En effet, les virages sont relevés à 75% et « la transaction de la ligne droite au virage s’opère par un grand arc qui adoucit le raccordement ». Cela a nécessité de savants calculs qui ont été « résolus par M. Pujibert, l’architecte bien connu, et par M. Dejean le réputé constructeur », réalisant ainsi « un véritable ouvrage d’art, atteignant la perfection » et doté du  « dernier cri du confort moderne ». Situé à cent mètres du boulevard de Talence (aujourd’hui, la place est occupée par le stade de Suzon) le vélodrome de la Côte d’Argent est desservi par 6 lignes de tramway ( !).

 

Les vitesses annoncées plus haut signalent l’entrée en scène de la motorisation dans le programme de ces spectacles que montent les directeurs de vélodrome.  A la vitesse du sprint pur se sont ajoutées d’autres épreuves, parmi lesquelles la course derrière entraîneurs humains. Voici qu’arrivent maintenant celles que l’on ne tarde pas à appeler « les grosses motos », ce sont les épreuves de demi-fond. Dés 1914, la presse vante  l’intérêt de la lutte derrière motocyclette, « formule appelée à se généraliser dans un avenir prochain » . Cependant, « les vitesses folles et dangereuses réalisées de nos jours » devront être légèrement réduites. Grâce au « rouleau à soixante centimètres », la lutte sera tout aussi « empoignante » et « le train de soixante-dix à l’heure (deviendra) normal ». Pourtant, accidents et chutes sont fréquents et, le 4 mai 1918. Darragon ( champion de France et du monde en 1906, le fidèle adversaire de Georges Sérés) se tue en course. Alors, il faut « interdire un sport dangereux ».

 

Les deux pistes bordelaises (vélodrome du Parc et vélodrome de la Côte d’Argent) ne rivalisent pas seulement à travers galas d’ouverture ou de clôture et autres Grands Prix. Outre le fait que les compétitions sont, le plus souvent, programmées aux même dates, les deux pistes ne reçoivent pas les mêmes coureurs. Ainsi, « l’Union Vélocipédique de France (délégation sportive de la Gironde) informe les intéressés que seul le vélodrome du Parc, à Caudéran, est affilié à l’U.V.F. pour 1913 ».

 Le 5 avril 1913, sous l’intitulé : « A propos de cyclisme : Unissez-vous ! », un certain M. Lap de Lyon écrit à M. Herbert de Bordeaux (rédacteur en chef du journal « Sports ») : « …un rapprochement entre la Bique et la Confédération ?…la F.C.S.O., après son colossal effort, irait bénévolement se vendre comme une fille soumise ? allons donc ! » et d’évoquer aussitôt « cette monstrueuse alliance de la carpe et du lapin… » La rupture est nette et irrémédiable, comme le confirment les propos suivants : « Nous avons trop de peine pour débarrasser le sport cycliste de ces parasites parisiens sur qui les onguents spéciaux restent sans effet…de toute part, la liberté réclame ses droits et le jour viendra où l’U.V.F. verra sa puissance réduite aux professionnels ».

Déjà, lors de l’inauguration du nouveau vélodrome de la Côte d’Argent (en avril 112), l’allusion était claire : « …ces brillantes courses d’amateurs où la sincérité est choisie comme base » ce qui voulait signifier « …partout où a été exclu ce qu’on appelle vulgairement »la chique »…

Pourtant, le directeur du vélodrome du Parc, Emilien Tauriac, « fidèle à sa vieille coutume de toujours choisir ce qu’il y a de mieux, quel qu’en soit le prix –coutume qui lui a valu l’indéfectible confiance du public sportif bordelais », met à l’affiche :Ellegaard (5 fois champion du monde), Kramer (11 fois champion d’Amérique), Hourlier (vainqueur du Grand Prix de Paris) et Perchicot (champion de France), promettant un gala sans précédent « dont nul sportsman ne conteste la haute valeur sportive ».

En juillet 1914, sous la signature « Intérim », on peut lire :  « si vous affirmez à Tauriac qu’il n’a pas souffert dimanche de la concurrence des Arènes, il vous rabrouerait de verte manière ; mais s’il assurait de son côté qu’il a énormément souffert de cette concurrence, ce serait à notre tour de le démentir. Autour de l’anneau caudéranais, il n’y a pas eu en effet la foule des très grands jours… » Du côté de Talence – cette fois, c’est « Sprinter » qui signe – l' annonce est faite que « la direction est assurée d’un beau succès, et qui sera la récompense de ses efforts constants pour faire revivre dans notre ville le beau sport cycliste amateur, le plus sincère, qui avait subi de si rudes assauts ». Mais quel est donc ce directeur ? C’est « le sympathique Géo » dont le journal rappelle « son intention de faire revivre le sport cycliste amateur tant délaissé depuis  bon nombre d »années et cependant le plus beau, parce que le plus  sincère ». Un peu plus tard, on lit encore : « ce brave Géo Hourdebaigt, l’homme qu’il fallait pour les fédérer, une force avec laquelle la «  vieille bique » aura à compter à Bordeaux ».

Le vélodrome de la Côte d’Argent est donc le fief de la Fédération cycliste du sud-ouest (F.C.S.O.) qui compte, en 1914, neuf clubs affiliés : la Pédale Talençaise, les Cyclistes Girondins, le Bordeaux Vélo Club, le Véloce Club de Vincennes, le Touring Club Talençais, les Nouvelles Galeries cyclistes et le Véloce Club Brédois. Hourdebaigt a écrit au journal à l’intention des « amateurs cyclistes » : « J’estime que le sport cycliste amateur, sacqué par l’U.V.F. doit revivre, afin que nous assistions aux belles empoignades d’antan, qui nous permirent de voir le sud-ouest occuper la première place, qu’il aurait dû conserver dans ce beau sport si sincère. Les plus belles luttes entre amateurs étaient régies, dans ce temps, par les règlements de l’U.S.F.S.A., qui abandonna par la suite à l’U.V.F. la direction des amateurs cyclistes. Ce fut une grosse faute commise, car l’U.V.F. qui ne recherche avant tout que la question financière, finit par tuer l’amateurisme en France :

1° en acceptant que les directeurs de vélodromes ou dirigeants de clubs remplacent les prix en médailles, objets d’art, etc. par des prix en espèces.

2° en créant la catégorie des amateurs marrons, autrement dits « indépendants ».

3° en autorisant les maisons de cycles à donner à des amateurs des appointements fixes ainsi que des primes kilométriques semblables à celles accordées aux indépendants… ».

Il ne s’agit plus d’une rivalité entre deux vélodromes, mais de ce qui ressemble à une guerre de religion !

Entre 1914 et 1918, s’il est délicat d’affirmer que « les choses évoluent », cependant le bras de fer engagé suscite de nouveaux enjeux : « la demande d’affiliation du vélodrome de la Côte d’Argent…l’U.V.F. peut-elle refuser l’affiliation d’un vélodrome en se basant sur le fait qu’elle est déjà liée par des engagements antérieurs avec une autre piste édifiée dans la même ville ? Le vélodrome de la Côte d’Argent anciennement affilié à la Fédération du sud-ouest a changé de direction et est maintenant dans les mains d’une société puissante et sérieuse, le B.S.B.S., fusion de 4 clubs bordelais, qui comprend dans son comité de direction plusieurs de nos confrères estimés de la presse bordelaise. …Mais la Fédération qui régit le cyclisme français montre moins d’enthousiasme.  «  Doucement, s’écrie-t-elle, vous voulez venir vers nous, entendu, mais…je suis liée avec la concurrence d’à-côté. Avant de vous entendre avec moi, vous devez payer au vélodrome du Parc, auquel nous avons concédé un monopole, une indemnité fixée par contrat. »

La question est de savoir si les règlements de l’U.V.F. autorisent un marché semblable à celui qui a été conclu entre cette Fédération, reconnue d’utilité publique, ne l’oublions pas, et un directeur de vélodrome, marché qui asservit le sport cycliste d’une des plus grandes villes de France au bon vouloir d’un seul(…)Il s’agit de savoir si le cyclisme sera « étouffé » à Bordeaux, de par la volonté de quelques pontifes, qui confondent sport et commerce… »

Cette longue diatribe est signée :  « P. Dale » !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



28/09/2011
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