Guy BLANCHETON (1939-2015)
« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis ! »
Victor Hugo, Oceano Nox
Guy Blancheton est né le 1er octobre 1939 à Meknès. Son père officier dans l’artillerie était en garnison au Maroc. Sa mère, Geneviève, a déjà une fille, Gisèle. La grand-mère est originaire des Eglisottes.
Septembre 1943, Jeanne, la maman et ses deux enfants : Gisèle et Guy.
Ceci explique peut-être qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, M. Blancheton, le père, trouve un poste dans l’entreprise des papeteries Navarre et à l’usine de Montfourat sur les rives de la Dronne.
Lorsqu’il remporte le titre de champion de France O.S.S.U. (Office du Sport Scolaire et Universitaire), Guy Blancheton est élève au collège de Sainte-Foy-la-Grande. Dans cet établissement, en 1953, un autre élève s’est illustré dans le cyclisme (cf. ici, dans « histoire des courses »), il s’agit de Flavio Capitanio, vainqueur de l’éliminatoire départementale du « 1er Pas Dunlop ». Nous avons eu l’occasion de parler de cet homme, devenu ensuite rugbyman puis professeur d’E.P.S. Nous avions évoqué aussi M. Monlezun, le professeur d’E.P. qui l’avait conseillé et dont nous avons suivi l’enseignement à l’I.R.E.P.S. de Bordeaux dans les années « 60 ».
L'équipe cycliste du Vélo Athletic Club de Coutras, année 1958-59 : Blancheton (maillot Verdeun) est au centre, sur la gauche, Guy Renard (cheveux blancs) et M. Blancheton père (lunettes sombres).
Guy Blancheton est alors âgé de 19ans et demi. Il est licencié au V.A.C. de Coutras, mais nous n’avons pas pu retrouver la date de sa première licence (probablement 1956). Par contre nous avons retrouvé les traces de son parcours parmi les courses effectuées, ses victoires, sa progression.
Avant ce titre en 1959, son classement F.F.C. s’effectue ainsi :
. de 4ème catégorie en 3ème à compter du 16/8/1957
. de 3ème catégorie en 2ème à compter du 16/7/1958
. de 2ème catégorie en 1ère à compter du mois d’août 1958.
Cette progression est due à 7 victoires : Vayres, les Peintures, St. Michel de Fronsac, Rolland, Coutras, Abzac, Ménesplet. Auxquelles il convient d’ajouter douze places dans les « 10 ». Le relevé de son activité de débutant (entre 17 et 19 ans) dans le cadre d’une région constituée par quelques rivières (la Dordogne, la Dronne, l’Isle), la forêt de la Double et les vignes du Libournais (Castillon, Fronsac, Pomerol, St. Emilion) permet aussi de dresser la liste de ses concurrents : J. Arnaud, G. Alvarez, G. Campaner, A. Delort, Demichel, J. Gras, Lapierre, Lubiato, Naffrichoux, A. Redoulez, Sever-Souchet, G. Thomas…
Année 1957 :
15/5 - Pinaud-St. Denis de Pile : 1. J. Lalanne… 3. Blancheton…
16/5 -St. Ciers d’Abzac : 1. Vignau 2. Blancheton 3. Petit
23/6 – St Michel de Fronsac : 1. Arnaud 2. Julien 3. Piberne 4. Blancheton 5. Baudet 6.Alvarez
15/7 - Vayres : 1. Blancheton 2. G. Alvarez 3. Piberne
20/7- Mérignac, Prix des Espors : 1. A. Redoulez 2. Martin 3. Cazalis 4.Gaubert 5. Vaisseaux 6. A. Delort 7. Blancheton 8. Mottet 9. Bougne 10. Galy
22/7 - Villegouge : 1. C.Lapierre 2. Naffrichoux 3. Demichel 4. Blancheton 5. Sever-Souchet
28/7 - Marensin : 1. C. Lapierre 2. Julien 3.Sever-Souchet 4. Grafeuil 5. Blancheton 6. Mollet
11/8 – Lagorce : 1. Cavignac 2. Naffrichoux 3. Blancheton 4. G. Alvarez et Demichel 6. Arnaud
15/8 – Cabarra : 1. J. Arnaud 2. M. Naffrichoux 3. Blancheton 4. Demichel 5.Lubiato 6. G. Campaner 7. Gaury
16/9 – St. Aulaye : 1. Arnaudeau 2. Blancheton 3. Cazimajou 4. Grellety
25/9 – Mussidan, Prix du Comice : 1. Pouget 2. Ricard 3.Dory…8. Bogdan 9. Blancheton 10. Avinio
6/10 – St. Aigulin : 1. Y. Nebut 2. Barraud 3.JP. Gras 4. Castel 5. Fedon…9. Blancheton 10. Verdeun.
Année 1958 :
23/3 – Villefranche de Lonchat : 1. Laporte 2. Guionie 3. Boucherie 4. Puygonthier 5. Perrier
6. Blancheton 7. Devaud 8. Prellon
7/4 –la Cabane les Peintures : 1. Blancheton 2. Lubiato 3. Arnaud 4. Petit 5. Léglise
14/4 – Bègles Prix de la Castagne : 1. Salou 2. Blancheton 3. Arnaud
28/4 – Rolland-les Peintures : 1. Blancheton 2. Naffrichoux 3. Arnaud 5. Fevrier 6. Branas
Libourne, challenge duc de Cazes : 1. Arnaud 2. Lubiato 3. Campaner 4. Bonnet 5. Tixier 6. Escales 7. Blancheton
22/6 – St. Michel de Fronsac : 1. Blancheton 2. Lapierre 3. Lubiato 4. Naffrichoux 5. Bonnet
Coutras, Prix de la ville : 1. Blancheton 2. Barbé 3. Cabrol 4. Bonnet 5. Mora 6. Nau
28/7 – Izon : 1. Cabrol 2. Blancheton 3. Baudet 4. Naffrichoux Ma. 5. Naffrichoux Mi. 6.Sieuzac 7. Othon 8. Grafeuil 9. Castel
18/8 – Montlieu : 1. G. Thomas 2. Laiguillon 3. Blancheton 4. J. Gras 5. A. Delort 6. Grafeuil
24/8 – Villetoureix, fêtes de la Borie : 1. Frare 2. Avinio 3. Monnet 4. Emery 5. R. Poirier
6. Blancheton 7. Rizatto 8. Munini
En mai 1959, à Saint-Etienne, sur un parcours vallonné, il s’échappe à 15 km. de l’arrivée, en pleine descente, d’un petit peloton de tête. Il prend trente secondes et il résiste jusqu’au bout. Le deuxième, Bonnargent et le troisième, Delattre sont deux très bons amateurs parisiens. Delattre sera champion du monde de poursuite amateur l’année suivante.
Chez les juniors, Thual de Nantes se fait connaître. Il sera encore les années suivantes l’un des lauréats des championnats de l’O.S.S.U. Le second est Michel Brux, à l’époque élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Lescar. Le douzième de cette course est un cadet du C.E.T. Champlain de Royan, il s’agit de Maurice Laforest. Souvent mésestimés ces championnats nationaux révèlent et confirment des éléments de valeur.
Le 20/7, à Cavignac dans une course « toutes catégories », il se classe sixième : 1. Marcel Sevilla (Bruges) les 110 km en 2H 56’ 20’’ 2. De Santi 3. Branas 4. Faure 5. F. Sevilla…
L'annonce du titre de champion de France O.S.(S.)U. par "l'Athlète" est bien encadrée par les victoires de R. Verdeun, P. Barrière et D. Dihars "sur les routes du sud-ouest". Mais, aussi, entre la "Route de France" et les "grandes classiques internationales" et même "Miroir Sprint" n'oublie pas de donner les résultats des championnats de l'O.S.S.U.
Brossac,lundi 31 août 1959
Ce jour-là a lieu le Grand Prix de la ville de Brossac. C’est une petite ville du Sud Charente, qui propose une « toutes catégories » sur un parcours vallonné assez exigeant. En concurrence avec quelques courses situées plus au sud (Albi, Saint-Gaudens, Marciac…), la participation est enrichie par la présence de presque tous les Charentais (Vallée, Epaud, Friou, Urbaniak, Mesnard, Pallu…) et, aussi, de quelques Bordelais, tel Maurice Bertrand.
Je connaissais Guy Blancheton, pour l’avoir vu gagner quelques courses autour de Coutras, comme aux Peintures, à Coutras, à Saint-Michel de Fronsac et se classer autour de Libourne :
Saint-Ciers d’Abzac, Marensin, Villegouge, Cabarra, Lagorce… Des courses auxquelles je pouvais me rendre en vélo, ainsi qu’il en existait beaucoup dans les années 50 et 60.
Conquis par mon assiduité et ma curiosité pour ces épreuves sportives, il m’invite à venir au Grand Prix de Brossac, où il s’est engagé parmi les coursiers évoqués plus haut, qui sont des cyclistes chevronnés. C’est son père, qui nous y conduit.
Depuis l’âge de douze ans, j’ai pris l’habitude de me rendre sur le lieu des « courses de vélo », avec ma bicyclette et depuis mon succès au B.E.P.C. avec mon vélo de course, piaffant d’attendre d’avoir seize ans pour prendre une première licence. Cependant, indépendamment du trajet à effectuer, je choisis le plus souvent un « favori », qui est mon « champion » et que j’encourage. A Brossac, ce sera, évidemment Guy Blancheton qui porte ce jour-là le maillot de champion de France qu’il s’est fait faire depuis son succès dans le championnat de France O.S.S.U. 1959, qui s’est déroulé à Saint-Etienne au mois de mai. De plus, il « monte » un vélo Verdeun, un nom que je commence à bien connaître depuis que j’ai assisté, en mars, au succès de Robert Verdeun dans Bordeaux-Saintes. J’ai rendez-vous chez les Blancheton qui habitent une maison à la sortie de Montfourat, soit à une dizaine de kilomètres de chez mes parents. Agé d’à peine 20 ans à l’époque, Guy aura fort à faire avec ces coureurs plus âgés et dont c’est souvent le gagne-pain. Le vainqueur de la course s’appelle Claude Vallée, peintre en bâtiment, mais aussi, futur champion de France des « indépendants » en 1960 et 1963.
Nous sommes rentrés assez tard et il faisait nuit quand j’ai repris mon vélo (sans lumière) pour rentrer chez moi. Alors que je roulais assez vite pour – peut-être – diminuer mon retard, une voiture me suivait depuis quelque temps en me faisant des appels de phare auxquels je répondais par des signes de la main, afin de lui indiquer de me doubler et de passer. Or, quand cette voiture m’a doublé, je me suis aperçu que c’était mon père qui était au volant et qu’il me signifiait de m’arrêter.
Ensuite, j’ai reçu l’ordre de rentrer à pied jusque chez moi, en poussant mon vélo sur le côté.
Guy Blancheton portait bien ce titre « scolaire et universitaire" car mon histoire le fit bien rire. Comme son âge, sa silhouette (1m 84), sa bonne humeur et son « coup de pédale » qui intriguait les « Anciens » formés à la dure école de la course et plus aux « coups de gueule » qu’aux éclats de rire.
1,84m, 73kg.
Cependant, l’été qui se termine met fin aux vacances et aux escapades pour aller assister à des courses cyclistes.
Aujourd’hui, confronté en son absence à renouer avec le fil de sa vie et, malgré l’aide précieuse de son fils, Bruno (né en 1967), je bute inexorablement sur ces dernières images et cette anecdote.
Hypothèse pour une rupture
Tirée des archives familiales, une coupure de journal l’annonce en septembre : « Est-ce le n°1 du cyclisme roannais de demain ? ». La question vient du club CR4C, qui informe de l’arrivée de Guy Blancheton, champion de France universitaire 1959. M. Blancheton, le père, a été nommé chef de service aux papeteries Navarre et il a dû rejoindre Roanne. De Guy, on apprend qu’il prépare l’oral du bac et qu’il a suspendu son entrainement. Ceci explique la disparition du nom de Blancheton dans les résultats recueillis par « l’Athlète».
S’il est acquis que Guy Blancheton s’installe comme kinésithérapeute à Angoulême dès 1967, la période de sa vie qui commence en 1960 abrite trois moments importants qui sont : la rencontre avec Geneviève, le service militaire et les études de kiné et de pédicure. Et, 1967 est l’année d’installation dans la vie professionnelle et, aussi, la naissance d’un premier enfant, Bruno. Celui-ci a interrogé sa mère et elle lui a expliqué qu’elle a « rencontré Guy, alors qu’elle avait seize ans et se rappelle « lui avoir écrit pendant le service militaire », elle est enceinte de Bruno en 1966. Guy et Geneviève ont effectué les mêmes études de kiné. à Paris, mais avec une année de décalage mise à profit par Guy pour obtenir le diplôme de pédicure. Cependant, de cette période riche en investissements, Geneviève ne se rappelle pas « pourquoi il a arrêté la compétition à vélo ».
Muni de cette coupure de journal qui annonce la venue de Guy au CR4C et, aussi, d’une photo représentant un groupe de stagiaires à l’I.N.S. et, encore, de la liste des engagés au 8ème G.Px. cycliste de Saint-Aulaye où le n°1 est attribué à « Guy Blancheton, 1.C., sélectionné au championnat de France amateurs, présélectionné olympique, champion de France universitaire », nous sommes incité à formuler quelques hypothèses. Celle que nous serions tenté de soutenir est la suivante, qui bénéficie de deux autres témoignages issus des archives que nous a communiquées Bruno.
Dans le cadre de l'I.N.S. et sous la férule du "Moniteur National", Daniel Clément, des "Espoirs" de la F.F.C.
et des destinées bien différentes...
En haut (de gauche à droite) : Blancheton, Magnan, Jacquelin, Poppe, Lepolard, Magron, Gimeno, Maffei, Desplat, X..., Gestraud, Alaphilippe, Scneeberger
En bas : Bouche, Boquillon, Le Mellec, Glais, Geoffroy, Graffeuil, Tréguer, Delaporte, Bernos, Réaux.
Il y a d’abord un dossard, le n°135, numéro encadré du sigle « FFC » et, ensuite, une petite coupure du journal « l’Equipe », qui raconte la mésaventure du coureur Blancheton, présent à Morlaix le 26/7/59 pour le championnat de France amateur (1. C. Sauvage 2. JC. Lebaube 3. J. Boudon). Ce concurrent a été arrêté au bout de 8 km de course en raison « d’engagement non parvenu à la FFC », « et pourtant on lui avait remis son dossard (le 135) et fait payer ses droits d’engagement ».
On peut aisément imaginer la déception – pour le moins – de Guy et de son père, qui avaient effectué le voyage depuis la Gironde.
Si l’article roannais montre les Blancheton, père et fils, prêts pour une nouvelle aventure en pays lyonnais, il est possible qu’à la suite de cette déconvenue, la rencontre d’une fiancée, la perspective du service militaire à effectuer et, aussi, celle d’études à venir, aient conduit à un renoncement en 1960. Guy a alors 21 ans.
Service militaire sur la « Jeanne d’Arc »
Au début des année soixante, le service militaire en France dure encore deux ans ( il sera ramené à 16 mois par la loi du 21/12/1963. La loi Messmer du 9/7/65 énonce que le service n’est plus seulement « militaire » mais « national »). Guy Blancheton va l’effectuer sur le croiseur-école « Jeanne d’Arc », à la fois ambassadeur de la France autour du monde et tenant un rôle d’application pour les élèves officiers de la Marine. La 26 ème et dernière croisière d’application se termine à Brest en 1964 et la « Jeanne d’Arc » est désarmée le 16/7/1964.
Le navire fait escale à Bordeaux et, sur la plage du Chay à Royan, j’ai un jour la surprise d’être interpelé par un grand gaillard portant une chemise africaine bariolée, qui m’explique qu’il termine son tour du monde avec le navire à quai à Bordeaux et, du même coup son service militaire. Ainsi, il m’apparaît que Guy Blancheton avait rompu avec l’activité cycliste, qui aurait pu lui permettre d’accéder au Bataillon de Joinville.
Un tour du monde sur la "Jeanne", c'est un service militaire enrichissant.
La partie de tennis fatale
Après leurs études de kinésithérapie suivies à Paris, le couple Geneviève et Guy s’installe à
Angoulême. Un garçon, Bruno, est né en 1967, puis une fille Anne en 1969. Une vingtaine d’années va s’écouler au cours de laquelle Guy développe sa maîtrise professionnelle, il n’est plus question de vélo.
C’est en 1989, au cours d’une partie de tennis-loisir, que Guy emporté par son élan se fracture le tibia contre un banc présent sur le court. Les conséquences vont être catastrophiques : dans les deux cliniques privées où il est soigné, la même erreur médicale est commise. Son allergie à l’héparine est ignorée et on l’a plâtré jusqu’au creux inguinal. Les deux jambes sont touchées et le membre inférieur gauche est asphyxié. En 1990, il doit être amputé au-dessus du genou gauche. Il s’en suit une année de rééducation à Bordeaux.
La famille se réorganise. Bruno Blancheton qui a terminé son service militaire après avoir suivi, lui aussi, des études de kinésithérapie vient aider son père au cabinet. En 2002, Guy prend une retraite anticipée.
Il est déjà remonté sur un vélo et il a fait le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Lui, autrefois jeune et brillant coureur cycliste, devenu kinésithérapeute fréquente désormais le monde du handicap qu’il connaissait déjà de par sa profession. Des images de 1997 le montrent parfaitement posé sur son vélo et pédalant, mains au guidon, avec sa prothèse de jambe gauche. D’autres photos le mettent en scène lors d’une randonnée en Allemagne en mai 1998 et, aussi, en compagnie d’autres cyclosportifs, souriant ou levant le bras comme le fait le vainqueur d’une course.
La position "les mains en haut du guidon" pourrait faire croire que "tout est facile"... mais l'excellente prothèse doit quand même être actionnée... avec moins de muscles et de leviers.
En mars 1995, le journal « la Charente libre » publie un entretien avec « Guy Blancheton, handicapé d’une jambe (qui) a participé samedi à vélo à l’Odyssée de l’association des paralysés de France (A.P.F.) sur le parcours « Angoulême-Cognac ». Dans cet article, Guy déclare : « En tant que kiné, avant que je perde ma jambe, je soignais des handicapés. Devenu handicapé, j’ai compris ce qu’ils pouvaient ressentir et le besoin qu’ils avaient de se défouler, de penser à autre chose… Je disais toujours à mes malades « il faut se battre ». Devenu handicapé, je n’avais pas le droit de baisser les bras. Il fallait que je fasse comme eux. Et puis, j’ai eu la chance d’avoir de la volonté. Mais c’est dur. Ce qui est difficile c’est d’admettre son état. C’est une lutte contre le fatalisme, contre le sort… »
Jean de Lafontaine a écrit :"on a souvent besoin d'un plus petit que soi". La formule est moins catégorique que dans "les absents ont toujours tort". Autrement dit : pour faire société, il ne faut mépriser personne et s'entraider les uns les autres. Ici, la photo qui saisit l'interaction entre le petit (l'enfant) et le grand (Guy) exprime ce respect fondamental.
L’accident vasculaire cérébral
2008, un A.V.C. vient alourdir l’accablement du sort. Cela déclenche une paralysie du côté droit du corps. Non seulement Guy est encore touché dans sa motricité, mais l’accident vasculaire
a occasionné une aphasie (perte de la parole). C’est une « double punition » et le diagnostic
médical est mauvais.
Guy Blancheton est admis dans une institution « Les Alins du Maréchal » à douze kilomètres d’Angoulême. Il ne s’y plaît pas. Le "kiné" qu'il est encore ne peut admettre cette "survie en fauteuil roulant". Parce qu'il communique difficilement (aphasie), il va mettre en place le programme de sa propre rééducation.
Son fils nous a dit "la rage" qui l'anime dans sa recherche d'autonomie. Au point qu'il retrouve la marche et réussit à revenir chez lui. De 2009 à 2015, il va continuer à se battre contre la douleur et les assauts d'une dernière maladie. Bruno, présent le dernier jour, redit : "la rage jusqu'à la fin".
Guy Blancheton meurt le 25/3/2015 des suites d’un cancer généralisé.
Le regard d’un fils
Chacun porte en lui une vision du héros et de ses qualités intrinsèques. Courage, force, ténacité, don de soi sont autant d’attributs qui nourrissent cette image et façonnent son mythe.
A bien des égards, mon père représente pour moi l’archétype du héros. Sur un vélo, il savait puiser l’énergie nécessaire pour gagner des courses et se dépasser. Mais c’est dans son parcours de vie qu’il a gagné sa plus belle course, celle qui lui a permis de surmonter le handicap et de retrouver son autonomie, alors qu’aphasique, amputé d’une jambe et paralysé de l’hémicorps opposé, tout le monde le croyait perdu.
De mon père, je garde le souvenir du battant, et d’un homme doux qui savait se tourner vers les autres, et ce souvenir est ma définition du héros ordinaire, celle d’un être humain avec ses qualités et les limites que ses défauts lui imposent, mais qui tente malgré tout de les repousser.
Si je suis si fier de parler de son histoire et d’évoquer sa mémoire, ce n’est pas autant pour lui rendre hommage que pour dire à quel point il fût source d’inspiration pour ma propre vie. Et c’est bien ce que font les véritables héros.
Bruno Blancheton.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 374 autres membres