Memovelo

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Les champions de la piste bordelaise (1892-2016)

 

 

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Trois pistes, trois époques : de purs pistards (sprinters ou poursuiteurs), d'autres pistards et routiers, des générations différentes (juniors-seniors- militaires...).

 

Bordeaux est avec Angers et Grenoble l’une des premières villes gagnées par cette nouvelle pratique que l’on nomme alors : la vélocipédie. Avant l’invention de la « chevauchée fantastique » sur la route à vélo, ainsi Bordeaux-Paris en 1891, le sport vélocipédique se déroule surtout sur des pistes spécialement conçues pour lui. Ce sont les vélodromes. Et, si Georges Cassignard est bien le premier Bordelais champion de France, il est l’emblème de cette activité qui justifie entre 1890 et 1910 l’existence d’une bonne dizaine de pistes et de vélodromes en Gironde.


Le coureur cycliste bordelais est souvent et d’abord un « pistard ». Il en résulte une tradition bordelaise confortée par l’existence d’une grande piste. Depuis 1893 et l’ouverture du vélodrome du Parc à Caudéran, trois grandes pistes ont été le théâtre de l’éclosion de talents estampillés par des titres de champion de France, d’Europe, du Monde et la participation aux Jeux olympiques.

 

Sur un peu plus d’un siècle, on peut distinguer trois grandes périodes qui correspondent à l’existence de trois grandes installations :

 

• 1893-1923 :

le vélodrome du Parc à Caudéran sur lequel s’illustrent, entre autres, les Cassignard, Tournier, Luguet, Lanusse, Bellivier et où se produisent les premières grandes vedettes internationales : le « Yankee volant » (Arthur Zimmerman) et Major Taylor, le premier grand champion noir. (cf. ici, les sujets sur les cinq coureurs bordelais).

 

1924-1986 :

Inauguré en 1924, le Parc des sports de Lescure est dû à l’imagination et à l’expertise conjuguées de Robert Hüe et de Cyprien Alfred-Duprat. Et, aussi, aux moyens financiers réunis par une assemblée de donateurs (la Société anonyme du Parc des Sports de Bordeaux-Lescure).

Ce stade qui peut déjà accueillir 35 000 personnes aura une existence assez brève d’à peine plus de 10 ans. Curieusement, une majorité d’ouvrages publiés à propos de Lescure ignore ce fait (cf. surlatouche.fr). Or, les plans du projet prouvent la présence d’une ambition particulièrement moderne qui associe les soucis de ce qui ne s’appelle pas encore le « sport-spectacle » avec ceux d’une pratique sportive populaire et scolaire, et leur adjoint une salle de cinéma et une piscine, mais qui ne seront finalement pas édifiées.
C’est, en fait, une vision anachronique qui privilégie la période suivante avec l’épopée des « Girondins de Bordeaux », lesquels n’émargent au statut professionnel qu’à compter de 1937 et n’accèdent à la division « Nationale » (la 1ère division) qu’à partir de 1949. Le « stade oublié » (le premier Parc de Lescure, 1924) comporte un vélodrome de 500 m et une piste d’athlétisme de 400m qui ceinturent un terrain d’honneur sur lequel vont se disputer, avant 1934, 6 finales du championnat de France de rugby. Il y a lieu de retenir déjà que l’ensemble des installations et/ou des terrains est organisé par rapport au vélodrome, lequel va accueillir chaque année l’arrivée d’une étape du Tour de France.
En 1934, dans le « livre d’or du cyclisme girondin », G. Belliard écrit : « cette piste est considérée comme l’une des meilleures du monde ».


C’est alors que le Parc des sports de Lescure est racheté par la municipalité et que le maire, A. Marquet, lance des travaux qui ne sont terminés qu’en 1938 (inauguration avec un match de la Coupe du monde de football). Travaux dont la partie la plus manifeste et innovante est constituée par une couronne de tribunes couvertes en béton armé, due aux maitres italiens en la matière, qui permettent une vision totale du spectacle. Mais, le vélodrome est resté quasiment inchangé, n’était-ce le grain du ciment de la piste devenu rose et, peut-être, susceptible de mieux supporter la pluie et ses averses…


Il y a donc un deuxième Parc des sports de Lescure, dont le maire souhaite qu’on le désigne par l’appellation « Stade municipal ». En 1947, après la seconde guerre mondiale, pour le Tour de la Libération que gagne le Breton Jean Robic, c’est un Italien qui gagne à Bordeaux (G. Tacca). Mais, la piste du Parc des sports de Lescure a déjà produit un vainqueur du Tour de France. Deux des trois fils du père Lapébie, cheminot à la « Médoquine », ont très vite trouvé leur terrain d’aventure : la piste est à côté de chez eux, ils y ont appris le vélo et figurent déjà en bonne place parmi les élèves de l’école de la piste, sur laquelle veille Robert Hüe. Il n’est pas déçu : en 1936, Guy Lapébie (alors au Vélo Club Levallois) fait partie de l‘équipe de France de poursuite olympique, médaille d’or aux Jeux de Berlin. Sur la route, Guy, médaille d’argent derrière Charpentier, prenait un air faussement vantard pour clamer : « J’ai fait 2 à Berlin devant Hitler ! ». C’était juste avant que le grand frère, Roger, issu de la même école et contemporain de Jules Ladoumègue, gagne en 1937 le premier Tour de France avec dérailleur.
A Robic succéda Gino Bartali, autre figure héroïque. Et, le « pistard » Guy Lapébie – le « coureur en soie » - prit la troisième place de ce Tour 1948. L’année suivante, ce même Guy triompha à Bordeaux-Lescure malgré Van Steenbergen.


Le vélodrome du « Stade municipal » était « habité » par les pistards. Malgré « l’irrésistible ascension » du foot, on dira encore longtemps le « quartier des coureurs ». Il y avait aussi cette autre tradition, les « samedis cyclistes » (« lorsque le temps le permet ») et cette indispensable propédeutique : La « Médaille », dont le nom des vainqueurs sonne encore glorieusement : Verdeun Maurice, Darrigade André, Verdeun Robert, Suire Jacques… la Médaille à Bordeaux, mais surtout la grande finale à Paris… ces quatre-là l’avaient gagné. Parmi eux, deux champions du monde qui se connaissaient bien : Maurice Verdeun, champion du monde vitesse amateurs en 1950 à Rocourt et André Darrigade, champion du monde sur route « pro » à Zandwoort en 1959.


Le « jeune » Jacques Suire fut en 1960 le « minot » de la délégation française aux J.O. de Rome, avant d’être champion de France de vitesse amateurs en 1962. Les années 1970 sont celles de Jean-Jacques Rebière, l’étudiant en droit, le bel athlète béglais qui n’a jamais voulu être « pro. », mais qui sera la poutre maîtresse de l’équipe du C.A.B. championne de France de poursuite sociétés en 1978. Une belle carrière poursuivie presqu’à parité sur la route et sur la piste avec deux participations aux olympiades de Montréal (1976) et Moscou (1980).

 

Nous avons gardé pour ici, car c’est bien sa place, la phrase de Jean Ladoire : « Le spectacle du football professionnel a avalé l’anneau de ciment rose de Lescure ». C’est en 1986 que la destruction du vélodrome a commencé, mais sur les photos des débuts des futurs champions (Pandelé, Cortinovis, Bannes), on remarque déjà la présence de grilles de chantier. Il est vrai qu’il y avait eu le « drame du Heysel » (1985) … et, il y aura, un peu plus tard celui de Furiani (1992). Drames qui trahissent la cupidité et la voracité d’un spectacle devenu « maître » des lieux. Aujourd’hui, on se pince en pensant que dans la « cité phocéenne » on a conservé l’appellation « stade-vélodrome ». Ce n’est pas la même nostalgie que celle que manifeste R. Peyran en me montrant ce souvenir conservé de Lescure sous la forme d’un morceau de ciment rose de la piste extrait des gravats.

 

Pour accomplir la mise en scène de notre démonstration : il y a bien une tradition de la piste à Bordeaux, nous avons cité les noms de ceux qui l’ont illustré au plus haut niveau : championnat de France, championnat du monde, participation aux J.O. Mais, il est bien malheureux le petit peuple des pistards bordelais pendant ces quelques années où il est obligé de s’expatrier pour s’entrainer…

 

• 1989 :

 

Evidemment, tout le monde se réjouit quand la piste renaît sous la forme d’un magnifique vélodrome couvert dans le quartier du Lac. Le 9 octobre 1989, Jacques Chaban-Delmas et Philippe Madrelle inaugurent le « Stadium de Bordeaux » et, deux mois plus tard, ont lieu : les premiers Six jours de Bordeaux à l’issue desquels les gestionnaires font leurs comptes : il y eu 11 000 entrées sur les 20 000 attendues.


• 1993 :

 

 

Dans un article (Sud-Ouest, le 3/7) intitulé « Tristes débats », magnifiquement illustré par une photographie de Philippe Taris qui montre un peloton échelonné sur la piste devant des gradins et des tribunes vides, Alain Douaud explique les « divergences » entre les gestionnaires des installations et les dirigeants et techniciens du cyclisme.

 

Si, sur une période de trente ans (1989-2020), grâce aux noms de Pandelé, Bannes, Dublé, Ladagnous , Patanchon, Boudat, on peut se satisfaire de croire que la tradition persiste et qu’à Bordeaux il y a bien, encore, une « école de la piste », les « temps changent » quelque peu. Les gestionnaires ont toujours les mêmes soucis et les politiques qui se succèdent font parfois des choix différents. Les spécialités sportives (il existe 115 fédérations) rivalisent entre elles auprès des publics et des pratiquants.
Le cyclisme sur route n’a jamais été aussi loin du cyclisme sur piste et la « France cycliste », longtemps orpheline du Vel d’Hiv (1959), connaît de nouveaux vélodromes couverts (Bourges, Roubaix, St. Quentin en Yvelines). La place du sport (surtout le sport-spectacle) dans la société ne cesse de grandir, mais -malgré les flux financiers qu’il génère- la question du choix et de la gestion des installations reste problématique.
En effet, le modèle du stade multisports s’efface progressivement devant la conception d’installations spécialisées. Mais, la popularité de certains sports mobilise de plus en plus de spectateurs et les installations sportives doivent être construites en dehors des concentrations urbaines.


L’histoire (complète) du Parc des sports de Lescure à Bordeaux fournit un exemple parfait de cette évolution. Edifié au début des années 1920 sur des terres ayant appartenu à la famille Johnston (laquelle cède aussi des terrains pour l’aménagement des boulevards et pour l’agrandissement du cimetière), le projet doit faire appel à des donateurs (le privé) et affronte déjà la pression de ceux qui, à la place du sport, poursuivent des objectifs immobiliers.


Après une dizaine d’années d’exercice, R. Hüe, le directeur de ce premier Parc des sports, devant les difficultés financières engendrées par les taxes sur les spectacles et l’entretien du stade conclut avec le maire de Bordeaux (A. Marquet) la vente des installations à la ville (le public).


La deuxième vie du Parc des sports de Lescure – désormais baptisé « stade municipal » - va s’écrire en lettres « bleu marine » avec l’épopée des Girondins de Bordeaux. Et, parce que le calendrier des deux sports le permet encore, outre quelques finales du championnat de France de rugby, juillet voit, chaque année, le stade rempli pour l’arrivée de l’étape du Tour de France (« En attendant Dédé et le Tour », Pierre Molinier dans « Sud-Ouest », le 18/7/1985)./ ).


Les années « 80 » consacrent l’accès des Girondins au leadership du football français (1983-84, 1984-85, 1986-87). L’évolution de ce spectacle sportif (les « hooligans », le drame du Heysel) impose de nouvelles normes de sécurité (pour ne pas dire de « gestion des flux ») et, malgré cela, le succès aidant (le 22/4/1985, Girondins-Juventus devant 40 211 spectateurs), il faut augmenter la capacité du stade. En 1986, l’architecte G. Dupuis, en supprimant la « piste cycliste » porte cette capacité à 40 000 spectateurs. Une autre vague de « rénovation-modernisation » (confiée à M. Moga) permet d’accueillir en 1998 la Coupe du monde de football et, en 1999, celle de rugby.


La disparition de la piste du vélodrome dans le « stade municipal » a placé le petit monde du cyclisme en état de manque. Alors, le maire de Bordeaux contribue à calmer ce manque par l’édification du « Stadium du Lac », installation couverte excentrée (1989). Mais, Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux depuis 1947, quitte sa fonction en 1995. Il décède le 10 novembre 2000. En hommage, le Parc des sports de Lescure devient en 2001 le stade « Chaban-Delmas).

 

Est-ce la candidature de la France à l’organisation de l’Euro de 2016 ou bien est-ce la vétusté du stade « Chaban » qui conduisent la municipalité à construire un nouveau stade multifonctionnel ? En juillet 2011, la construction du nouveau stade est confiée au groupe Vinci associé au groupe Fayat, dans le quartier du Lac (à quelques centaines de mètres du « Stadium »). En 2015, les Girondins de Bordeaux, jusque-là le club résidant de Lescure, s’installent dans le nouveau stade de Bordeaux, dénommé « Mat-Mut Atlantique » et construit grâce à un financement « public-privé ».
Depuis 2011-2012, l’Union Bordeaux Bègles qui joue les premiers rôles en « Top 14 » de rugby – bien qu’attendu au « Mat-Mut » - a pris ses quartiers à « Chaban » et mobilise un public fidèle et nombreux.
Le journal « Sud-Ouest » du 2 septembre 2021 annonce : « la mairie dit non au projet de naiming du stade Chaban-Delmas »

 

 

Cependant, il semble bien que la « tradition », vieille d’une centaine d’années et inscrite dans l’histoire de Bordeaux, soit sur le point d’être engloutie dans le tourbillon financier international.

 

 

 

1er PdL 1924.jpg

 

Ce document découvert dans le sujet intitulé : "Un stade oublié : le premier Parc Lescure (1923-1934)"mis en ligne sur surlatouche.fr m'a été confié  par Francis Baudy que je remercie vivement. Faut-il être un grand spécialiste des pistes et des vélodromes pour apprécier l'harmonie  de cette courbe et son "raccordement parfait" avec la ligne droite ?

 

 

 

 



15/12/2021
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