Pierre BEUFFEUIL
. mercredi 3 octobre 2014 :
Sitôt sorti de l’autoroute à Mirambeau, je reprends le chemin connu qui, autrefois,nous menait vers Royan. Déjà, le soleil de l’estuaire éclaire cette campagne vallonnée, où les terres retournées et privées de pluie ont séché leurs mottes. La lumière de l’Atlantique et le calcaire des Charentes font ressortir les façades des maisons. A Cozes, je choisis de passer par Saujon et j’évite ainsi l’attraction royannaise pour aller directement vers Le Guâ.
En ce temps-là (années 1950-60), il y avait au Guâ, au mois d’avril, une belle course dans laquelle se produisaient les « pros » dits de 2ème catégorie au contact des meilleurs « régionaux » et « indés ». Le circuit rectangulaire et assez long obligeait cependant coureurs et peloton à composer avec le vent, celui de l’océan atlantique proche. Cette épreuve, en partie éclipsée par les grands critériums voisins de Bourcefranc et de Saint-Claud, avait emprunté à la grande classique « Paris-Roubaix », proche au calendrier, son appellation « l’enfer guâtais ».
A quelques pédalées de là, près de la route qui relie Rochefort à Royan, en partie cachée par les tamaris et légèrement en retrait des anciens marais salants, je découvre « Fort Beuffeuil ». Nous sommes en fond de Seudre, petit fleuve côtier qui a débuté comme ruisseau dans la Saintonge toute proche et se termine en estuaire, communicant à l’abri de l’île d’Oléron avec l’océan par le pertuis de Maumusson. C’est le pays des claires, pour l’affinage des huîtres, celles dites de « Marennes-Oléron ».
L’homme qui vient nous ouvrir le portail et qui, derrière ses lunettes, nous interroge malicieusement du regard, a terminé 6 Tours de France et gagné deux étapes de la « Grande Boucle ». Loin de nous l’idée de reprendre ici une « dissertation » sur ce qu’est un « palmarès », mais qu’il nous soit permis d’ajouter, déjà, que – sans compter ce qui vient d’être énuméré – le collection de succès de Pierre Beuffeuil est remarquable.
. « le puncheur blême » (Jacques Augendre) :
Grâce au Tour de France - mais pas seulement - le coureur charentais, bien que toujours « régional », a inspiré la plupart des grands journalistes de cyclisme : F. Albaret, R. Chapatte, C. Parmentier, R. Silva… l’Equipe, But & Club, Miroir-Sprint, Miroir du Cyclisme, aucun des grands journaux sportifs traitant du cyclisme n’a négligé le sujet : Pierre Beuffeuil. Mais, c’est Jacques Augendre qui a trouvé la formule-choc : « le puncheur blême ».
Les descriptions convergent pour dire : « le blond Charentais… au torse athlètique… poids moyen naturel… » et souligne : « un moral solide, une santé étonnante : le prototype du coureur par étapes ». Il est « harmonieux sur sa machine », ce n’est « pas un grimpeur », il a « une position de pistard », il est « terriblement fort » et – Jacques Augendre, encore – c’est « le plus flahute de tous les régionaux français ».
Sur le plan psychologique, les journalistes remarquent « le teint pâle et son regard clair (qui) est emprunt de mélancolie », « on ne le voit jamais sourire ». Ce qui est, en partie, contredit par ce léger sourire qu’il a sur (presque) toutes les photos prises en course. Il est « un peu timide dans le civil (beaucoup moins en course) », car il n’est pas « public ». « Sud-Ouest » (le 10/07/61) le nomme : « Beuffeuil l’affable ». « Il ne fait pas de long discours », c’est « un de ces rares garçons qui ne se plaignent jamais », « un équipier parfait, d’une humeur toujours égale ». « Calme, jamais il ne se met en colère, parfois avec mélancolie (« Ah ! c’est vraiment dommage… »), mais toujours sur un ton égal » (Jacques Augendre). Claude Parmentier (Miroir du Cyclisme) le trouve « à l’écart, les pieds dans les pantoufles : il rêve à on se sait quoi ». C’est peut-être pour ça que, dans sa région, on l’appelle familièrement : « Pierrot Beuffeuil ».
. les huîtres et la « poche de Royan » :
On pardonnera au bon docteur de Mondenard de qualifier Pierre Beuffeuil de « Vendéen » dans son livre « Contre-enquêtes, 36 histoires du Tour de France » (éd. Hugo & Cie, 2010), car il contribue - avec Gérard Descoubes – à détruire un mythe selon lequel « l’équipier du Centre-Midi » aurait profité de l’arrêt du peloton à Colombey-les-Deux Eglises pour saluer le général de Gaulle, pour s’échapper.
Non, Pierre Beuffeuil n’est pas un Vendéen, car il est né à l’Eguille/Seudre, un petit village où ses parents sont de « petits ostréiculteurs ». C’est là qu’il connaît le club de ses débuts : le VC l’Eguille, lequel lui prête un vélo de marque « Mercier », signe prémonitoire.
« Pierrot » a déjà raconté (cf. D. Trouëssard, « les grands cyclistes du Poitou-Charentes », éd. Sutton, 2008) « les quelques sous que je gagnais le dimanche (qui) étaient les bienvenus pour ma famille » et j’ai bien de mes yeux vu « le petit carnet (vert) sur lequel (sa) mère inscrivait (ses) ptimes de victoire ».
Oui, mais j’ai bien écouté quand Pierre Beuffeuil a raconté ce temps où « de Royan s’élevait une fumée noire », « que nous avons été évacués et pris le train en gare de Saujon pour aller en Corrèze, à… Seilhac ». Il extirpe de ses souvenirs ce moment où, avec ses parents, ils sont transportés sur une petite charrette tirée par un cheval ». Les Beuffeuil sont restés là-bas, un an et demi, « nous couchions à même le sol ». Pierre avait 10-11ans…
Royan occupé depuis le 23 juin 1940, truffé de mines et de blockhaus, où, à partir d’août 1944, les Allemands sont encerclés par 7000 maquisards (FFI, Armée secrète, FTP) dans cette « poche de l’Atlantique ». Le 8 octobre, la décision d’évacuer les civils concerne 8000 « bouches inutiles » (4000 à Royan et 4000 dans la presqu’île d’Arvert) vers des « lieux d’évacuation où ils ne sont pas toujours accueillis avec la plus grande cordialité » (Wikipedia, « la poche de Royan »).
Le 5 janvier 1945, deux vagues de bombardiers Lancaster de la R.A.F. attaquent Royan. La ville est rayée de la carte. Le général de Gaulle relance l’offensive avec l’opération « Vénérable ». De nouveau, les bombardiers américains déversent quelques milliers de tonnes de bombes les 14 et 15 avril. Pour la première fois, ils utilisent le napalm pour venir à bout du « réduit de Royan ». « La terre, le sol flambent », le 17 avril la forêt de la Coubre est en flammes.
Curieux souvenirs ! qui sont ceux d’une adolescence où la scolarité est brève, interrompue pour aller aux « travaux à la ferme ». Pierre est domestique du côté de Sablonceaux, puis « petit maçon », ouvrier dans une entreprise attelée à la reconstruction de Royan, à « une époque où l’on manquait de tout ».
C’est pour cette raison que P. Beuffeuil effectue un service militaire tardif (1957-1958, dans l’armée de l’air, sur les bases de Rochefort puis de Saintes), comme s’il avait été un « étudiant sursitaire »… Ce qui lui évite –peut-être – la guerre d’Algérie, mais il est déjà coureur cycliste professionnel depuis 1956…
. la période initiatique (1950-54) :
Nulle progression supersonique pour le jeune coureur Beuffeuil qui, peu à peu, grimpe les catégories pour arriver en « 1ère » en 1954 après des victoires qui balisent un chemin charentais : l’Eguille (bien sûr), le Guâ (naturellement), le Riberou-Saujon, mais encore : Cozes, Etaules, Courpignac, Gemozac, Vallière-Mazerolles, Aigre…
Déjà, le 22 avril 1950, à Marennes où Rembert (VS Saint-Fort) gagne, on retrouve le jeune Beuffeuil 4ème d’une course dont le second est Jean Toengi. Les deux garçons sont nés en 1934. Puis, le 22 avril 1952, à l’Eguille, la course est gagnée par J. Ricou (St. Pierre d’Oléron), Toengi est 2ème, Pierre se classe 5ème devant Christian Péraudeau. En 1953, en avril à Saint Georges de Didonne, le premier est P. Beuffeuil du VC l’Eguille et l’on retrouve Guy Latour 6ème ex. La même année à St. André de Lidon, on note : 1. Jean Ricou (PC Pléron) 120 km en 3h11’ 2. Toengi (VC Saintes) 3. Beuffeuil (l’Eguille)… 8. Trochut… Un Jean Ricou qui passe en 1ère catégorie en septembre 1953 et que certain (l’Athlète) considère comme « la révélation de 1952 dans les Charentes ».
Le 5 août, alors qu’il n’a pas encore 19 ans, P. Beuffeuil termine dans le peloton de Bordeaux-Royan, classé 14ème ex-aequo en compagnie de C. Bannes et C. Campaner. L’épreuve est remportée par Henry Aubry effectuant les 125 km en 3h 25’ (7. Toengi… 12. M. Gonzalès…). L’année suivante (1954) pour le 38ème Bordeaux-Royan remporté cette fois par Michel Gonzalès (125 km en 3h 16’) devant S. Perin, Beuffeuil, animateur de la course se classe 6ème. Deux jeunes coureurs charentais passent alors en 1ère catégorie : Pierre Beuffeuil (VC Saujon) et André Trochut (VC Gemozac), soit deux futurs vainqueurs d’étapes du Tour de France.
Malgré quelques différences d’âge, on peut dire de ces garçons : Beuffeuil, Latour, Ricou, Toengi et Trochut, qu’ils ont grandi ensemble.
. 1955, l’année où tout bascule :
Dans Bordeaux-Saintes que remporte Jean Dacquay, le second est Jacques Lemaître,le chef de file du VC Saujon. Mais, son « jeune lieutenant » Pierre Beuffeuil gagne le 39ème Bordeaux-Royan au terme d’une longue échappée en compagnie d’André Dupré.
Ce n’est pas une surprise.
Il a déjà gagné les courses réputées de Rioux-Martin, Montamise et Taillebourg. Surtout, sélectionné dans l’équipe du sud-ouest (avec R. Cazala, C. Coutant, A. Geyre, M. Gonzalès, M. Jouault et A. Trochut), il a terminé la Route de France à la troisième place derrière le vainqueur René Genin d’Aix-en-Provence et Gérard Saint, second.
En septembre, il clôture cette dernière saison chez les « indés » par la victoire dans le Grand Prix René Salomon à Jarnac (2. Chaumont 3. Gonzalès… 12. Guy Latour, 1er des 3 et 4).
. 1956, première année chez les professionnels :
Lors de son passage chez les professionnels, Pierre a troqué son maillot rouge et blanc de la marque des cycles Royal Codrix, de M. Codridex à Angoulême, pour la maillot violine des cycles Mercier, dont le directeur sportif est Antonin Magne.
Dans Bordeaux-Saintes remporté par Gérard Gaillot – 33 ans (une génération !) après son père – devant André Lesca, il n’est que 28ème. Mais, « je suis l’homme de la chaleur : je « n’éclate » vraiment qu’à partir du mois de mai ». En effet, la suite est bien meilleure. Il y a d’abord deux belles victoires : Poitiers-Saumur-Poitiers puis la Route du Vin.
En juin, au Grand Prix de La Couronne, il est deuxième derrière André Trochut. En juillet, « il a fêté à la fois son mariage et son départ dans le Tour » (But & Club, 25/07/56). Le 16 juin, il épouse Marcelle avec qui il aura deux fils, Christian et Daniel. Et, ce qui n’est pas incompatible, il termine 31ème de son premier Tour (88 coureurs au Parc des Princes, 1er : Roger Walkowiak).
En août, il écrit la première page de ce que nous appelons « Beuffeuil en Limousin » :
- victoire à Treignac devant Vivier, Fernandez, Darnauguilhem, Guitard…
- victoire à Felletin devant Barbotin, Agut, Prouzet, Fernandez, Colette…
- victoire à Pompadour devant Desbats, Gourd, Sitek, Kervasse…
et, 3ème à Meymac (1. Huot), 4ème à Grand Bourg (1. Dolhats), 7ème à Chaumeil au Bol d’or des Monédières (1. Geminiani).
En septembre, il est successivement le deuxième d’André Dupré au Grand Prix des vins de Saussignac , puis il gagne le circuit des marchés de la volaille de Valence d(Agen (futur circuit d’Aquitaine) devant Nello Lauredi et Daniel Dihars (après avoir gagné la 1ère étape, fait 2ème de la deuxième étape et 3ème de la 3ème…).
Enfin, il gagne le Grand Prix de Vergt devant H. Sitek et A. Dupré.
. Les années « Tour de France » (1960-61-62-63..et 66) :
Pour le Tour de France 1959, malgré un honnête « Midi Libre » (20ème) et une belle 5èmeplace aux 4 jours de Dunkerque, Pierre Beuffeuil n’est choisi que comme premier remplaçant par Paul Le Drogo pour une équipe « Ouest-Sud-Ouest » plutôt composée de Bretons.
L’année suivante (1960), le directeur sportif breton de l’équipe de l’Ouest forme une équipe autonome de Bretagne et Pierre Beuffeuil est « récupéré » par Maurice Quentin dans l’équipe du « Centre-Midi » (avec Busto, Le Menn, Rohrbach, Ruby et Thiélin ,ainsi que deux autres « sudistes » qui avaient fait le Tour précedent dans l’équipe de l’ "Ouest-Sud-Ouest » : Marcel Queheille et Tino Sabbadini).
En région, « Pierrot » a bien démarré sa saison : il gagne –presque chez lui – le criterium de Bourcefranc et il « fait 2 » dans Bordeaux-Saintes derrière la révélation, Raymond Poulidor. Au mois de mai, échappé avec Cerami et Cazala, un brusque virage dans Charleroi précédant la dernière montée et il se fait surprendre par Pino Cerami qui, lui, connaît tous les pavés (ou presque) : il termine à la deuxième place de la Flèche Wallonne.
Deux semaines plus tard, il se classe 6ème des 4 jours de Dunkerque.
Le Tour de France commence bien pour lui : 6ème à Saint-Malo d’une étape gagnée par Darrigade, il est encore deux jours plus tard 8ème à Angers de la 7ème étape gagnée par Battistini. La 9ème étape conduit de Limoges à Bordeaux.
Elle est marquée par une échappée de 150 km à quatre : Van Geneugden, Van Est, Graczyk et Beuffeuil. Sur la piste de Lescure, « Pierrot » fait 3 et, à sa descente de machine, il a du mal à cacher sa colère. Fernand Albaret, dans le journal « l’Equipe », traduit cela par un titre : « P. Beuffeuil attend Graczyk au tournant ».
Par la suite, il est 9ème en Avignon où Van Geneugden gagne encore. Il va terminer son 2ème Tour de France à la même place que lors du premier : 31ème… Quand survient le succès tant attendu. C’est au cours de la 20ème étape, qui va de Besançon à Troyes. Alors, les titres fusent : « Beuffeuil, le Charentais qui sonna le réveil de l’Aube » (Miroir-Sprint) et Robert Chapatte déclare qu’il « méritait bien d’être le seul régional vainqueur d’étape », car, depuis Bruxelles, il est « un des plus combatifs ».
Cependant, « Chapatte de velours » qui reconnaît dans cette victoire en solitaire à Troyes ( !) « un véritable exploit » et qui lui donne « un coup de chapeau », est aussi l’un des promoteurs de cette légende qui voudrait que « Pierrot » ait rattrapé le peloton à la faveur de l’arrêt à Colombey-les Deux Eglises. Il écrit : « Le Président qui a sauvé Beuffeuil a donc pris une part certaine dans le succès de Troyes ». Gérard Descoubes (« Patrimoine cycliste du grand sud-ouest" ) d’abord, Jean-Pierre de Mondenard ensuite démontent parfaitement cette légende (« tord le cou à cette histoire romancée », de Mondenard). Beuffeuil a profité de l’arrêt pour « aller faire pipi » chez un particulier, quand il revient sur la route, le peloton est reparti. Commence alors une poursuite méconnue par Chapatte, mais que celui-ci confirme d’une certaine façon quand il écrit que Beuffeuil s’est échappé à 26 km de l’arrivée. Or, Colombey-les Deux Eglises se situe à 70 km du but.
« Pierrot » qui a recollé au peloton, s’échappe ensuite et finit seul avec 49’’ d’ avance. Ce qui mérite un double coup de chapeau.
Jean-Pierre de Mondenard, malgré qu’il ait emprunté à Chapatte le qualificatif de « vendéen », montre comment deux journalistes bien connus se sont fait « complices du mythe » (« Contre-enquêtes, 36 histoires du Tour de France »).
Pierre Beuffeuil est à nouveau en Corrèze et en Limousin : sur le plateau de Millevaches, il gagne à Peyrelevade (2. Poulidor), fait 3ème à Lubersac (1. Iacoponi), 7ème à Peyrat-le Château (1. Huot) et, plus au sud, à Grenade/Garonne, il s’intercale dans le sprint entre Robert Verdeun (1) et Maurice Bertrand (3), lequel gagne à Saussignac, le 5 septembre (4. Beuffeuil).
1961 :
Avant de prendre le départ du Tour de France, cette fois dans l’équipe « Ouest-Sud-Ouest » (avec 11 autres coureurs : Bihouée, Cloarec, Foucher, Gainche, G. Groussard, Huiart, Ignolin, Le Buhotel, Picot, Queheille et Thomin), Pierre Beuffeuil a eu un programme copieux : 6ème de Bordeaux-Saintes et 67ème de Paris-Roubaix. Puis, 3ème des 4 jours de Dunkerque (1. Geldermans), 4ème du Tour de l’Oise (1. Alomar), 16ème du championnat de France à Rouen-les Essarts (1. R. Poulidor).
Le 21 juillet, Jacques Augendre titre dans « l’Equipe » : « Le Tour à l’heure bretonne – Beuffeuil, le puncheur blême a raté le coche à quatre reprises ». Au terme de la grande étape pyrénéenne (4 cols), le Prix de la combativité est décerné non pas à un coureur, mais à une équipe : « l’Ouest-Sud-Ouest ». A Pau, c’est le Belge E. Pauwels qui l’emporte, mais André Foucher est 2ème, Marcel Queheille 3ème, Georges Groussard 4ème, Gainche 7ème, Thomin 9ème, Beuffeuil 12ème, Bihouée 20ème et Ignolin 39ème. L’équipe régionale est devenue la rivale de l’Equipe de France et J. Gainche, l’adversaire d’A. Darrigade pour le maillot vert.
Dès la 3ème étape, André Darrigade qui a eu l’intelligence de ne pas mésestimer P. Beuffeuil gagne à Roubaix au terme d’une échappée où « Pierrot » a bien rempli son rôle (4ème). Quelques jours plus tard, sur les pavés de Charleroi, échappé avec l’Italien Zamboni, il est repris à 3 km du but. Jacques Augendre lui décerne alors le titre de « plus flahute de tous les régionaux français ». A Montpellier, A. Darrigade gagne l’étape en réglant au sprint les douze coureurs échappés, parmi lesquels P. Beuffeuil qui finit 8ème. Cinq étapes plus tard, sur le vélodrome de Lescure, il est dans la roue du Suisse Rolf Graf au moment où la cloche indique « prochain tour l’arrivée », mais il se classe finalement 20ème d’un sprint massif où le Belge Van Geneugden arbitre à son profit le duel entre Gainche (2ème ) et Darrigade (3ème).
Après le « feu d’artifice » tiré par ses coureurs tout au long de ce Tour remporté par Jacques Anquetil (maillot jaune de bout en bout), Paul Le Drogo regrette que « dans les réunions d’après-Tour, tous ses coureurs ne soient pas également sollicités ». Marcel Queheille et Pierre Beuffeuil sont moins demandés. Et pourtant, ils ont été deux des grands combatifs de ce Tour » (Bernard Scudier, Sud-Ouest du 21/07/61).
Néanmoins, il reste encore un bijou de littérature. Le 14 juillet 1961, dans « l’Equipe » comme presque tous les jours, Antoine Blondin a écrit : « Suivez le Beuffeuil ». Cela commence ainsi : « Le peloton, animal gras par excellence, aurait tendance à fondre à la cuisson ». Cette phrase limpide qui, plus loin, ouvre sur « la recette du « Gainche », tel qu’il se sert dans l’Ouest », Blondin la fait suivre d’emblée par cette mise en garde : « Cependant, les ménagères, ou mieux les managers, qui s’en vont au marché, où l’indice traduit une très nette baisse des prix, auront intérêt à fixer leur attention sur quelques bas morceaux de qualité inattendue dont ils pourront tirer de succulentes recettes (…) Et c’est pourquoi nous répétons aujourd’hui : Suiveurs, suivez le Beuffeuil, c’est un morceau de bravoure ».
Voilà ! c’est écrit par un Monsieur qui n’hésitait pas à se faire promener en brouette par Raymond Poulidor et qui, en 1959, reçut le Prix Interallié pour « Un singe en hiver ». Un homme qui savait écrire des phrases comme celles-ci : « on boit ensemble, mais on est saoul tout seul » ou encore « je me tiens toujours au seuil de moi-même parce qu’à l’intérieur, il fait trop sombre ».
Suite et fin de la saison 1961 :
- Seignelay : 2 (1. Gainche)
- Château-Chinon : 7 (1. Gainche 2. Graczyk)
- Ussel : 2 (1. Poulidor)
- Quillan : 1 (2. Gainche)
- Mende : 2 (1. Queheille)
- Meymac : 7 (1. Salvador)
- Châteaulin : 10 (1. Morvan)
- Tour de Picardie : 17 (1. Stolker)
1962 :
La période qui précède celle du Tour de France s’étend d’une 4ème place obtenue dans Bordeaux-Saintes gagné par Manzano, puis passe par une 27ème place au Criterium National (1. Joseph Groussard), 2ème à Lagorce-Laguirande derrière Fernand Delort. Puis, le 9 avril, il termine 20ème de Paris-Roubaix remporté par Van Looy. A « l’Etoile du Léon » gagnée par F. Delort, il est 27ème, puis 3ème à Bourcefranc derrière Van Steenbergen et Graczyk. Dans Paris-Bruxelles (1. Jo. Wouters), Pierre Beuffeuil se classe 29ème. A Guéret, il gagne devant Elena et Camillo.
Vient alors l’heure de Bordeaux-Paris remporté par le Hollandais De Roo où « Pierrot » termine à la 8ème place. Et, ce sont les « Boucles de la Seine » (le 12/06) qui vont à Joseph Groussard, où « Pierrot » finit dans le peloton classé 10ème ex-aequo. Un programme de quatre mois bien chargé !
Pierre Beuffeuil enchaîne donc un Tour de France après un Bordeaux-Paris et, en 1962, le Tour de France se dispute par équipes de marques. Dans l’équipe « Mercier-BP-Hutchinson », avec le dossard 142, il est l’équipier de Raymond Poulidor, le nouveau challenger de Jacques Anquetil qui remporte son 3ème Tour, sans coup férir.
Le « métronome » laisse Ercole Baldini à 3’ et Raymond Poulidor à 5’ dans la dernière étape contre la montre. « Pierrot », lui, termine son 4ème Tour à la 50ème place. Dans la dernière étape qui relie Nevers-Forges-les-Eaux à Paris (271 km), il est encore dans le trio d’échappés qui pénétre sur la piste du Parc des Princes, mais il doit se contenter de la 3ème place derrière Benedetti (1) et Ongenae (2).
Avant de finir par le Tour de Picardie, les 22 et 23 septembre (13. ex-aequo d’une épreuve gagnée par W. Bocklant), Pierre a gagné à Auzances, puis il finit 2ème derrière Poulidor à Eymoutiers, circuit du Macaud. Au mois d’août, il gagne à Maël-Pestivien devant Ruffet.
1963 :
Avec le dossard 11, Pierre Beuffeuil prend part à sa 5ème Grande Boucle au sein de l’équipe « Mercier-BP-Hutchinson » (6 Français et 4 Belges). Le leader en est R. Poulidor, lequel ne peut faire mieux que 8ème. Une fois de plus, Jacques Anquetil s’impose aux grimpeurs (2. Bahamontès). « Pierrot » Beuffeuil figure à la 47ème place au classement général, juste devant un certain Guy Epaud. 7ème de l’étape Bordeaux-Pau gagnée par Pino Cerami, il n’a guère eu l’occasion de se montrer davantage.
Auparavant, il avait récité ses classiques :
- Bordeaux-Saintes : 7 (1. F. Delort)
- Paris-Roubaix : 19 ex. (1. E. Daems)
- Paris-Bruxelles : 44. (1. J ; Stablinski)
- Tour de l’Hérault : 10 (1. C. Valdois)
L’été – le Tour passé – il a collectionné les places :
- Lubersac : 2 (1. Cazala)
- Mende : 4 (1. Manzano)
- Meymac : 8 (1. Mazeaud)
- Esperaza : 2 (entre A. Delort et F. Delort)
et, surtout, une 3ème place au Circuit d’Aquitaine (1. Maliepaard) acquise après 4 étapes d’une grande régularité : 3ème, 3ème, 4ème et 5ème.
. La Parenthèse :
1964 : Pierre Beuffeuil n’est pas retenu par Antonin Magne pour ce Tour qui peut être considéré comme l’apogée du duel Anquetil-Poulidor, que ce dernier perd à nouveau, avec les honneurs cependant, puisqu’il termine 2ème à 55’’ au classement général.
Une année sans Tour pour « Pierrot » qui pourtant avait bien commencé l’année en gagnant à Lagorce-Laguirande (2. F. Delort), puis en terminant 4ème de Bordeaux-Saintes enlevé par Le Mellec. En mai, il remporte la 1ère étape du Tour de l’Oise et termine 7ème au classement général de l’épreuve gagnée par l’Allemand Bölke.
Au vide de juillet succède une série de places :
- Plouvenez-Quintin : 3 (1. Mériaux)
- Felletin : 3 (1. Poulidor 2. Elliott…4. Anquetil)
- Lubersac : 5 (1. Manzaneque)
- Meymac : 7 (1. Valdois)
- Allassac : 2 (1. Tymen)
Fin août, à Châteaulin, pour le championnat de France remporté par Stablinski, « Pierrot » finit 26ème.
1965 :
L’absence de participation au Tour de France a dû peser lourd dans la décision de Pierre Beuffeuil de quitter « Mercier » et Antonin Magne, pour lequel il semble avoir toujours beaucoup de respect. Il est vrai que « Pierrot » avait déjà été sollicité quelques années auparavant par Charly Gaul, alors chez « Gazzola ». L’affaire ne s’était pas faite, car Beuffeuil était lié par le contrat qu’Antonin Magne lui avait fait signer. En 1965, il passe – avec armes et bagages – dans le camp d’en face : « Ford France-Gitane », l’équipe de Jacques Anquetil. Le choix ne sera pas concluant, puisqu’il n’est pas retenu par Raphaël Geminiani pour le Tour de France.
Au plan national, figurent une bonne 2ème place dans le Tour du Nord gagné par Van den Eynde, une 59 ème place dans le « Midi Libre » (1. A. Foucher) et une 34ème place au championnat de France à Pont-Réau (1. H. Anglade). « Pierrot » est visiblement obligé de se rabattre sur les criteriums et les courses régionales, dans lesquels il obtient les résultats suivants :
- Lagorce-Laguirande : 5 (1. Gainche)
- Tombeboeuf : 2 (1. JL. Bodin)
- Sévignac : 2 (1. JL. Bodin)
- Saint-Just : 1 (2. B. Glais)
- Brigueil-le-Chantre : 3 (1. M. Grain 2. JP. Paris)
- La Couronne : 5 (1. F. Campaner)
- Quimper-Gouëzennec : 2 (1. J. Bourlès)
- Chaniers : 1 (2. Epaud 3. Gaillot)
- Limoges : 2 (1. JL. Bodin)
- Allassac ; 2 (JL. Bodin)
- Quimperlé : 2 (1. Jo Velly)
- Hennebont : 6 (1. G. Marcarini)
- Esperaza : 10 ( 1. S. Elliott)
Au total, Pierre Beuffeuil déclare aujourd’hui : « j’ai perdu deux bonnes années ». Cependant, il lui reste le souvenir de « bonnes rigolades avec Michel Grain ».
. Deux dernières années chez les « pros » :
Janvier 1966 , Pierre Beuffeuil retrouve les co-équipiers de sa nouvelle formation : « Kamomé-Dilecta-Dunlop », parmi lesquels A. Darrigade, G. Epaud, R. Mastrotto… sous la houlette de Louis Caput.
Il réalise un bon début de saison :
- 1er à Saint-Tropez, le 27 février devant JL. Bodin et A. Darrigade
- 8ème de Gênes-Nice, le 6 mars (1. L. Aimar)
- 21 ème de Paris-Nice (8-15 mars) (1. Anquetil 2.Poulidor)
- 54ème de Milan-San Remo, le 19 mars (1. E. Merckx)
- 13ème du Criterium National, les 26 et 27 mars (1. Poulidor 2. Anquetil)
- 10ème de Bordeaux-Saintes, le 3 avril (1. D. Perurena)
- 6ème à Lagorce-Laguirande (1. JL. Bodin)
- 3ème à Bourcefranc, le 10 avril (1. P. Sercu)
- 3ème des 4 jours de Dunkerque (1. F. Mertens), du 11 au 15 mai
- 26 ème du G.P. du « Midi Libre » en juin (1. JC. Theillère)
Le 21 juin, à Nancy, il prend le départ de son 6ème et dernier Tour de France, en compagnie de : M. Benet, A. Darrigade, J. Dupont, JC. Lebaube, P. Le Breton, A. Le Grevès, R. Mastrotto, J. Novalès, L. Rostollan. Il y aura 5 survivants et 1 victoire d’étape : Pierre Beuffeuil gagne la 21ème étape, Montluçon-Orléans (232,5 km). Le coureur charentais a mené à son terme une échappée de 205 km et il finit le Tour à la 71ème place au classement général. Un Tour de France gagné par Lucien Aimar, qui est aussi le dernier de Jacques Anquetil et, aussi, le théâtre du premier contrôle « anti-doping ».
Cette présence au premier rang des courses nationales est confirmée par une 15ème place au championnat de France de Sallanches gagné par J. Stablinski, en août.
En région, Pierre Beuffeuil a, aussi, fait :
- 5ème des Boucles du Bas Limousin (1. R. Mastrotto)
- 3ème à Saint-Laurent des Hommes (1. JL. Bodin)
- 13ème à Castillon-la-Bataille (1. Stablinski 2. Laforest)
1967 :
L’équipe « Kamomé-Dilecta » devenue « Wolber » a réduit la voilure et Pierre Beuffeuil se retrouve chez « Tigra-Grammont-de Gribaldy », en compagnie de Guy Epaud, Joseph Groussard, Guy Ignolin, Jean Jourden…
Sur la Côte d’Azur, pour le Grand Prix de Saint-Raphaël gagné par J. Jourden, P. Beuffeuil est 4ème. Il est aussi 4ème à Lagorce-Laquirande (1.F. Campaner).
Dans Paris-Nice gagné par Tom Simpson, il figure à la 46ème place et aux 4 jours de Dunkerque, remportés par L. Aimar, il est 41ème. On le retrouve encore à la 37ème place de Kuurne-Bruxelles-Kuurne (1. Van Ryckegem).
Mais, le Tour se dispute à nouveau par équipes nationales et, cette année-là, il n’y a place que pour 30 coureurs français répartis dans trois formations : Equipe de France, Bleuets de France et Coqs de France. De l’équipe « Tigra-Grammont-de Gribaldy », seuls Guy Ignolin (Bleuets) et Michel Grain (Coqs) ont été retenus. Il n’y aura donc pas un septième Tour pour Pierre Beuffeuil.
En région, après une 4ème place à Lagorce-Laguirande (1. F. Campaner) et, aussi, à La Limouzinière (1. R. Poulidor), « Pierrot » finit 2ème des Boucles du Bas Limousin, à Brive (1.JL. Bodin) et 2ème aussi à Lubersac (1. D. Samy). En juin, il gagne à Valence/Baïse (2. Mazeaud) et, en septembre, à Querrien (2. Marcarini).
C’est sa dernière année chez les professionnels, soit un bail de 12 ans.
. Retour en région en tant qu’« amateur Hors Catégorie » (1968-69) :
Toujours licencié au Vélo Club de Saujon, Pierre Beuffeuil, qui a été reclassé « amateur H.C. », va poursuivre son activité encore deux années.
1968 :
Au cours de cette saison, « Pierrot » inscrit son nom au palmarès de la réputée course de Saint-Thomas de Conac (2. Perrotin). Il gagne encore plusieurs fois, notamment à Montlieu-la-Garde (2. Perrotin), au Gibeau (2. Ben Brahim).
Il collectionne les places d’honneur :
2ème à Guérande (1. Laforest)
à Mont-de-Marsan, la Madeleine (1. Perurena)
des Boucles Allassacoises (1.F. Campaner)
à Bergerac (1. Fages)
à Biron (1. Floirot)
3ème à Lagorce-Laguirande (1. F. Campaner)
à Auch (1. Adorni)
à Verdille (1. Cuch)
à Cenac-et-Julien (1. Lescure)
à Calès (1. Ricou)
à Chevanceaux (1. Manzano)
à St. Même-les-Carrières (1. Laforest)
4ème à Aiguillon (1. F. Campaner)
à Cozes (1. Laforest)
7ème à Lubersac (1. F. Campaner)
12ème à Saint-Claud (1. Bellone)
Cette énumération témoigne d’une activité encore intense dans la région du « grand sud-ouest ».
1969 :
La dernière année de Pierre Beuffeuil qui a désormais 35 ans et qui gagne encore quelques courses parmi ses jeunes collègues, dont celle de Châlus où le deuxième s’appelle Gestraud et le troisième Jagueneau, soit trois générations de Charentais ( nés respectivement en 1934 – 1939 – 1943)…
. La deuxième vie (civile) de Pierre Beuffeuil :
L’ « après » qui commence aussitôt est brutal et dur. Le vélo raccroché, « Pierrot » a repris la pelle et la pioche, parce que – il nous prend à témoin – « moi, je n’avais aucun diplôme ». Dure réalité que cet homme, ancien coureur cycliste professionnel, résume d’un trait : « Je suis né pour bosser ».
Cependant, cet épisode trop éprouvant aussi bien physiquement que moralement, ne dure que six mois. Pierre Beuffeuil est ensuite embauché dans une grande entreprise royannaise de travaux publics, où on lui confie des machines et des travaux et où il va rester six ans.
Après avoir repris une petite entreprise ostréicole et avec l’aide de Marcelle, ils rebâtissent une nouvelle vie professionnelle dans un milieu que « Pierrot » connaît depuis toujours.
C’est Daniel, le cadet des deux garçons (ancien recordman de France du développé-couché) qui prend ensuite la succession. Quand je rends visite, l’aîné, Christian, capitaine dans la marine marchande au large des côtes africaines , est attendu à « Fort Beuffeuil ». J’appelle ainsi « la demeure du grand-père », un Vendéen du nom d’Herbreteau, où « Pierrot » a aménagé un appartement pour son fils Daniel.
Dans le garage, deux vélos de course sont suspendus, mais Pierre Beuffeuil me montre un vélo d’homme à guidon plat, garde-boue, pneus demi-ballon et selle confortable, sur lequel, presque chaque matin, il part pêcher dans l’estuaire de la Seudre. Je lui demande ce qu’il attrape, mais « Pierrot » pouffe de rire, baisse la tête et dit : « rien ».
Je dédie ce travail sur Pierre Beuffeuil
A mon frère, Pierre, que nous appelions familièrement
« Pierrot » et qui est décédé accidentellement sur la
Route des Charentes, le 18 mai 2014.
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