Memovelo

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Mon premier vélo de course

Le livre de Laurent Lasserre porte le titre "Mon vélo" (éditions Metaphora, 2011). Ici, deux précisions sont apportées : "premier" et "de course" (mais Lasserre ne parle pas que de l'engin, plutôt de la pratique). En effet, pour la plupart d'entre nous, et depuis l'enfance, il y a eu plusieurs vélos. Déjà, pour l'initiation, il y eut quelques temps des "stabilisateurs". Ensuite, le problème de la taille s'est posé. En fait, il y eut toute une série de vélos intermédiaires avant le vrai, le premier vélo de course.

Mon premier vélo de course est de la marque "TENDIL" et nous sommes en juillet 1958. Avec mon père, nous sommes allés le commander chez M. Laffayas, à Libourne.

  

 

 

Sur le catalogue, et pour des raisons économiques, le choix s'est fixé sur le deuxième modèle de la gamme. Choix contraint qui me prive du fameux pédalier "Stronglight" à emmanchement carré, dont j'avais eu connaissance par "l'Officiel du cycle" et les merveilleux dessins de Daniel Rebour (et, aussi, par les photos de "Miroir-Sprint" et "But et Club").

Ce vélo vient alors en récompense d'un succés au Brevet d'études du premier cycle (à l'époque, le BEPC). Soit un "classique" des familles qui reprend la tradition "un vélo pour le certificat d'études".

A cette période, celle des grandes vacances, mon emploi du temps est rythmé par les courses cyclistes autour de Coutras (33). Mais, le vélo commandé n'arrive pas avant le départ de mes parents pour Nice, où ils sont invités. Ils souhaitent que je les accompagne et, à un peu moins de 14 ans, je n'ai pas les moyens d'y échapper. Pourtant, mon rêve me projetait avec mon vélo dans toutes les courses de village...

Pendant ce voyage dans la "Dauphine" familiale, je "ronge mon frein". Ni les visites de musée, ni les poteries de Vallauris ne me font oublier l'engin qui m'attend et ne m'empêchent de rêver aux exploits à venir. Attentif à cette frustration, mon père a réussi à aménager, grâce à M. Laffayas, une visite de l'usine Tendil à Nîmes. Dans un espace qui me paraît immense, de nombreux mécaniciens en blouse bleue montent des vélos neufs. J'assiste même au montage d'une machine identique à celle que nous avons commandée. Je découvre la couleur rouge orangé de la marque Tendil.

Mon premier vélo - c'est une autre mise en attente - n'est pas "monté" Campagnolo. C'est une machine totalement française : cadre en tubes Vitus, dérailleurs Simplex (à l'arrière le ressort et la petite chaîne, à l'avant, la manette le long du cadre pour passer d'un plateau à l'autre), le pédalier est un Cyclo (les deux plateaux sont solidaires et les manivelles sont à clavettes, mon cauchemar !), les freins à tirage central sont des Mafac (très répandus à l'époque), la selle Idéale est un peu dure et le restera, les jantes sont de marque Mavic et les boyaux des Hutchinson, les bloquages Simplex, le cintre et la potence AVA...

 

 

 

 

l'Athlète du 5 juillet 1950 : "Tendil, la grande marque du Gard reprend contact avec le sud-ouest"

 

Paul Laffayas est un homme discret aux cheveux blonds et blancs, rigoureusement peignés en arrière, avec des yeux bleus diffusant le calme. Je le vois encore arriver à Laguirande pour juger sur le podium d'arrivée, avec ses pantalons de golf, ses chaussettes noires et ses chaussures cyclistes aux pieds, un carnet et un crayon à la main. Un temps où c'est l'A.V.C.L.(le V.C.L. fondé en 1896, devenu en 1901 l'Auto-Velo-Club Libournais), dont il est un des dirigeants, qui organise le Grand Prix.

Dans son atelier, situé dans le centre de Libourne, un dossard avec un liseré tricolore est fixé au mur. C'est quasiment la seule décoration, d'autant plus remarquable. Il s'agit du dossard de Sever-Souchet, le vainqueur de la finale "Guyenne" du Premier Pas Dunlop et, donc, participant à la finale à Nice.

A Libourne, dans les années 50, deux clubs rivalisent : l'AVCL et la SCAL (débuts en 1933). Quelques espoirs promettent : De Santi, Demichel, Lapierre et Sever-Souchet, entre autres... Sever-Souchet est donc équipé par Tendil, comme le rappelle "l'Athlète" lors de sa victoire à St. Seurin/Isle en 1957: " 1. Sever-Souchet sur cycles Tendil, agent Laffayas, 13, rue J-J Rousseau à Libourne". Monté en 2ème catégorie dès septembre 1956, ce coureur disparaît par la suite des tablettes (guerre d'Algérie ?). J'ai bien cru le revoir au volant d'un bus de ramassage scolaire...

 

Pour Pierre Passot, dans le forum de "Mémoire du cyclisme" : "M. Tendil ouvre un premier magasin, 19 rue Carnot à Alès, le 19/10/1919. Un an plus tard, il monte des vélos à sa marque et équipe des coureurs jusqu'au milieu des années 50. Son affaire prospérant, il s'installe 21 rue Ruffi à Nîmes et, au simple montage des vélos, il ajoute la fabrication des cadres, sous la raison sociale "cycles TENDIL". Dès 1950, il sort 1000 vélos par mois." 

 

 l'Athlète du 28 février 1951 : "jeunes coureurs, pour la saison 1951, les cycles Tendil vous offrent un Million (10 francs le kilomètre débutant)"

 

Voici, avec le numéro de dossard de chaque coureur, la formation "TENDIL-Hutchinson" engagée dans le Grand Prix du Midi Libre en 1953 (rappelons que cette course a été gagnée par Pierre Nardi de Barsac (33), alors indépendant) :

1. Bianchi Siro

2. Matteoli Paul

3. Llorca Michel

4. Nardi Pierre

5. Chardonnet Louis

6. Folch Manuel

7. Barquero Angel

8. Gourmelon François

9. Bernardoni Jean

10. Monti Maurice

(Tendil, la firme nîmoise, dont le directeur sportif est Oreste Bernardoni (Jean est coureur), in "l'Athlète du 10/12/1952) 

D'autres coureurs - et non des moindres - ont porté le maillot TENDIL au cours de cette période :

 

- lors du Tour du Sud-Est 1953 : 58. Canavese Antonin et 59. Polo Pierre

et, en 1951, Bertolino André, Decanali Fernand, Rol Emile, Rolland Amédée, Ranc José et Gil José.

 

Quelques exemples pour illustrer les caractéristiques du cylisme méridional et de cette époque où quelques petits constructeurs équipaient des coureurs qui constituaient des pelotons où indépendants et professionnels côtoyaient aussi des coureurs naturalisé ou pas :

 

- Siro Bianchi, né en 1923 (23/08) à Santa Maria a Monte (Toscane), mécanicien, venu se fixer au milieu de l'été en 1947 chez son oncle à St Rémy de Provence, naturalisé français en septembre 1953, il a débuté en 1948 et couru 3 Tours de France (48ème en 1952); Il est reclassé indépendant en 1952.

- José Gil, né le 03/02/1929 à Téruel (Espagne), le fameux petit grimpeur (Mont Faron, Mont Agel, Mont Coudon, col de Vence, la Turbie...), qui courra ensuite pour Urago et jusque dans les années 60.

- Pierre Polo, licencié en Italie dans la catégorie "Pros-Indés", il a probablement gardé la nationalité italienne, parce qu'il est reparti à Trieste après sa retraite sportive ouvrir un magasin d'armes. Il a particpé à 2 TourS de France (39ème en 1958) et beaucoup d'autres grandes épreuves. A-t-il été "pro" ?  "peut-être le seul Italien à ne pas avoir été naturalisé "...?

- Angel Barquero et François Gourmelon viennent de Mussidan (24) et leur mentor A. Chaussade est agent Tendil dans cette cité de la Dordogne (voir Bernard Peccabin et son site "la Dordogne Cycliste").

- Paul Matteoli, né le 07/11/1928, jardinier, champion de France de poursuite

 

Aujourd'hui, en recherchant sur Internet, deux Tendil sont encore identifiables :

 

- la SARL cycles Alain Tendil, motos, scooters, concessionnaire exclusif Peugeot à Nîmes, 72, route de Beaucaire, entreprise créée en 1992.

 

- le magasin de vélo " Tendil Christophe" à l'Isle sur la Sorgue 84800, qui possède un site très complet et intéressant sur le matériel, la nutrition et l'entrainement : Nutri-cycles.

 

Mais, dans "l'Athlète" du 22/04/1953, on peut lire : "lettre du jeune Tendil (Patrick) pour annoncer la naissance de son petit frère Frédéric et qui souhaitent porter les couleurs du grand-père de Nîmes"...

 

Cependant, nous formulerons l'hypothèse qu'il s'agit d'héritiers de la tradition TENDIL.

 

Mon premier vélo de course (et il y en eut bien d'autres, même si je n'ai pas fait de vélo entre 18 et 32 ans) a aujourd'hui 54 ans. Et il a connu plusieurs périodes.

C'est lui qui a servi lors de mon premier essai pour être coureur cycliste. En 1961, il est devenu vraiment rouge (comme les vélos de Van Looy et de sa "garde") grâce au savoir-faire d'un peintre automobile. Puis, aux ateliers Verdeun du cours Balguerie à Bordeaux, mon père m'a acheté deux derailleurs Campagnolo (avant et arrière, avec, les deux manettes et leur collier) et une pompe Silca impero (bleu Bianchi !)avec les colliers pour tenir la gaine du frein arrière et, aussi, celui pour coiffer la pompe et la tenir contre le tube de selle.

Un accident avec un poids lourd (déjà !), qui ne m'avait pas pris en compte dans son angle mort, avait précipité le changement de la roue arrière par une nouvelle roue toujours jante Mavic, mais avec moyeu et blocage Campagnolo, achetée à Ussel en 1960.

 

 1961 : dans la plaine autour de Cozes (17) lors du championnat de France scolaires et universitaires qui arrive à Royan.

 

 

A la fin des années 70, mon père ayant subi un triple pontage aorto-coronarien, le vélo a été "missionné" pour la rééducation du patient et, pour cela, il s'est vu adjoindre un home trainer avec des rouleaux "à l'ancienne". Mais, mon père, qui a toujours aimé le sport et respecté les sportifs, ne goûtait que très modérément l'effort physique. Il y a trois ans, le vélo a été réhabilité et intégré au cadre de vie d'un retraité. Grâce à Jean-Michel Garcia, j'ai pu me procurer (enfin !) un pédalier Stronglight et le guidon est devenu "plat".

 

 2010 : plus de 50 ans, une fourche pour "chasser les clous" et des "bluemel's" pour la pluie..

 

 

Cette histoire ne prétend pas à l'originalité. Cependant, elle m'a paru pouvoir illustrer "une vie de vélo de course" des années 50 à nos jours. C'est aussi l'histoire d'une marque voire d'une famille (Tendil). Une marque du midi de la France qui a équipé des coureurs professionnels et qui a été diffusée dans le sud-ouest et auprès des amateurs. Une marque française, quand les Italiens et les spécialités Campagnolo faisaient déjà envie.

 

"l'Athlète" du 07/10/1953 : "40ème Salon de l'automobile et du cycle : montée en flèche des "motorisés", baisse passagère de la bicyclette..."



10/01/2012
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