Les usines CAZENAVE à Belin-Beliet
SOMMAIRE
Préambule : « les enfants des autres » (C. Pujade-Renaud, 1985)
1. Louis Cazenave (1883-1958)
- un enfant des Landes girondines
- le travail et l’économie
- la forge
- la réparation des bicyclettes
- le retour du bois
- la « Grande Guerre » (1914-18)
- le coup de fatigue
- s’entourer de bons collaborateurs
- le « matériel roulant »
- 39-40 : « l’étrange défaite », puis les années d’occupation
- les années 1950, le décès et les obsèques de Louis Cazenave
2. La succession
- les fils Cazenave : Guy et Frank
- Frank Cazenave : « un jeune héros se lève »
- l'intermède Paloma
- l’industrie du cycle en France des débuts aux années 60
3. Chronique d’une mort annoncée (1969-1976)
- 1969 : 1ère assignation (l’URSSAF)
- 1970 : Tribunal de commerce de Bordeaux : le Syndic
- 1971 : gérance Wallon
- 1972 : la S.A.M. et M. Angot
- 1975 : le règlement judiciaire, l’usine occupée
PREAMBULE
A la rentrée de septembre 1969, nommé professeur d'éducation physique et sportive au collège d'enseignement secondaire mixte et municipal de Salles (33), j'ai eu la joie de recevoir l'adhésion sans fard de jeunes élèves en milieu rural. L'étiquette de "handballeur" n'a pas dissuadé ces jeunes enfants et adolescents de m'accorder leur confiance, alors que les milieux adultes auraient préféré la venue d'un enfant du pays, plutôt international de rugby. Au seuil de la cinquième année de présence dans cet établissement, les aléas et les arcanes du pouvoir administratif et politique m'ont conduit à l'ENSEPS, dite "nouvelle", permettant alors à mon collègue Jean Plantey de me succéder sur le poste.
Or, les quatre ou cinq années passées au CES m.m. de Salles correspondent à la fin des usines Cazenave à Belin-Beliet. L'épilogue de la chute de la maison Cazenave à l'été 1975, je ne l'ai connu que de loin, mais dans un climat nouveau pour le "baby-boomer" que je suis (presque) et qui avait été averti par l'affaire "Lip" (1973). Certains des élèves du CES sont des enfants des ouvriers, employés ou cadres des établissements Cazenave.
L'association sportive du petit collège de Salles (364 élèves) en déplacement à Arcachon (l'ancien vélodrome), ici les garçons qui viennent du Barp, de Lavignolles, de Caudos, de Lillet, de St. Magne, de Belin et de Beliet Pour ces derniers, je relève les noms suivants : Ara, Baillet, Barsac, Berger, Boé, Bréchère, Brisbaut, Casimajou, Chollet, Descat, Dudézert, Duprat, Faurens, Fleury, Goujon, Huyghe, Labarbe, Lescarret, Nadau, Prioleau...
D'autre part, le nom de "Cazenave" était, pour moi, associé à une marque de bicyclettes. Une marque dont la renommée dans la région n'était pas surfaite, mais qui m'intriguait parce que je n'avais jamais vu ce nom sur un maillot de coureur. Quarante ans plus tard, j'apprenais que "Cazenave" équipait pourtant la "lanterne rouge" du Tour de France 1911, un certain Lucien Roquebert (devenu, après la Grande Guerre , marchand de cycles à Dax).
Cependant, le vélo de mon oncle, Marc Dalus, instituteur à Abzac (33) était aussi un "Cazenave".
… sortie de la remise et encore "dans son jus", la bicyclette d'un instituteur girondin
Cela ne pouvait qu'exciter ma curiosité, dans la mesure où le journal "l'Athlète", consacré aux courses et aux coureurs, ne manquait jamais dans les années 50, au moment du Salon, de saluer "l'entrreprise de Belin et son chef"… au milieu des "La Perle", "Terrot", "Royal Fabric", "Helyett" ou encore "Elvish", eux engagés dans la course...
Depuis l'ouvrage de Max Baumann, intitulé "Bordeaux - Métamorphoses" (vol.2 , édit. Equinoxe, 1999), qui conscacre deux pages à l'usine Cazenave, nous n'ignorons plus que Belin-Beliet a possédé , au centre Lapios, un musée d'histoire locale et que le grand collectionneur en fut Jean-Louis Brouste. Lorsque je décide d'approfondir cette recherche, les services municipaux m'orientent vers l'association "Courant alternatif", puis vers Gilles Rosière, l'auteur d'un numéro spécial du "Chari Vari" ("Une épopée industrielle en pays belinois", nov.2013), que je découvre en même temps que la belle exposition consacrée aux Ets. Cazenave abritée dans les locaux de l'association "RepEyre", la dernière quinzaine de novembre.
Cet événement a coïncidé avec le décès de Jean-Louis Brouste. Je ne peux que lui dire ici ma reconnaissance et lui associer Gilles Rosière pour son ouverture et sa disponiblité.
1. Louis Cazenave (1883-1958)
M. Louis Cazenave au soir de sa vie.
Un enfant des Landes girondines
Quand, à 12 ans après le certificat d’études, son père lui laisse le choix, soit de continuer les études comme son frère et sa sœur, soit d’entrer au séminaire comme l’y engage le prêtre d’Hostens, Louis Cazenave choisit sans hésiter le travail manuel.
Et, il a déjà connu le labeur et sa récompense : « Chaque jour, après la classe, j’allais aider ma mère à faire des paillassons et plus tard des panneaux pour caisses, elle me laissait le fruit de mon travail que je plaçais soigneusement dans une tirelire ». Pendant les vacances, il s’exile à Pauillac ou à l’Isle-St-Georges pour faire les vendanges. Soixante ans plus tard, lorsqu’il écrit « Ma vie » en 1954, il se souvient de ces « 40 francs (qui) représentaient pour (moi) un somme importante » et qu’il avait placés « à la Caisse d’épargne avec le contenu de (ma) tirelire ».
Dans ce récit autobiographique que Louis Cazenave achève en octobre 1954, quatre ans avant sa mort, il énonce d’emblée « trois moyens pour réussir sa vie : une conscience droite, le travail, l’économie ».
Sans exclure le premier de ces trois moyens, il est utile de constater combien les deux autres forment les piliers de la construction d’une réussite industrielle dans la première moitié du XXème siècle. Quand, la trajectoire d’un apprenti pouvait culminer au point de devenir le patron d’une usine employant 800 ouvriers.
Le travail et l’économie
Le petit Louis, qui réussit son CEP, qui est apprécié par le prêtre et qui travaille déjà pour se constituer une tirelire, choisit donc le travail manuel. Il se sait issu « d’une famille d’humbles travailleurs », dont le père est mécanicien-conducteur de locomotives et la mère, « digne femme et digne épouse » cherche à gagner quelque argent « en travaillant en dehors de son ménage ». Son choix est donc sans surprise : « j’avais à cœur de suivre leur exemple ».
Lors de son premier emploi dans une scierie, « tireur derrière une scie à ruban à dédoubler », qu’il avoue être un travail très pénible pour un garçon de son âge, il reconnaît aussi : « je résistais cependant car le gain m’intéressait »… Et, assez vite, il trouve un nouvel employeur pour un salaire amélioré, toujours dans une scierie forestière. Commencent alors des déplacements qui l’amènent d’Hostens à Joué puis à Caudos et, déjà, des parcours sur « une bicyclette d’occasion à bandages pleins » qu’il a « payée 50 francs ». Mais, aussi, des conditions de vie que Louis Cazenave évoque pudiquement par cette phrase : « Je vivais le plus économiquement possible ». Ce qui signifie qu’il couchait « dans une cabane à côté de la machine à vapeur ». Il le concéde : « Je vivais très médiocrement ». D’autres chantiers, d’autres cabanes suivront.
Fin du 19ème et début du 20ème siècle, alors que "les pins ont chassé les moutons", mais toujours dans la Lande, autour de la machine à vapeur, la locomobile, s'assemblent de nouvelles communautés de travailleurs
La personnalité de ce garçon de 14 ans se révèle alors clairement à travers ces propos qu’il tient, ensuite, à plus de soixante-dix ans : « Mes parents ignoraient totalement ma façon de vivre. Ils pensaient que je couchais dans un bon lit ».
La forge
Déterminé à apprendre un métier, il quitte « cette vie en forêt » et se présente à M. Téchoueyres, forgeron-serrurier à Belin. Une sorte de contrat le lie à son nouveau patron : il est logé et nourri, mais doit se contenter de quelques pourboires qu’il « ramassait précieusement ».
Quelques mois passent, l’occasion lui est fournie de montrer son expérience et sa connaissance de la machine à vapeur. Et, aussi, de prendre la direction d’un matériel de dépiquetage et de satisfaire les désirs de rendement de son patron : « je battis tous les records de production ».
Dans cette situation, malgré son âge, il se révèle aussi chef, entraîneur. Il montre l’exemple. Déjà, il avoue : « je cherchais tous les moyens de production ». M. Jules Téchoueyres, son patron, lui verse en plus « une petite gratification (…) qui fut mise en réserve, bien entendu ». Et il continue son apprentissage, tout en étant entouré par cette famille qui l’héberge.
L’apprentissage terminé en 1899, désireux d’apprendre le tour et l’ajustage, il se fait embaucher à Belin, chez M. Domecq. Le salaire s’améliore et il continue à augmenter ses économies. Cependant, pour 2 francs par wagon, la nuit, il va décharger de la pierre concassée… « cela augmentait d’autant mes petits revenus ».
Puis, il met en œuvre de nouvelles habiletés pour réparer chaudière et brûleurs de la scierie de son patron. Laquelle flambe par une nuit de l’hiver 1899. Mais, c’est encore Louis Cazenave qui participe à la reconstruction et à la relance de l’entreprise.
En 1900, avec « l’intention d’accroître (mes) connaissances professionnelles », il est embauché à Bordeaux, rue d’Ornano, comme tourneur. Mais, « le travail était toujours le même » ce qui ne lui « donnait pas satisfaction », il revient à Belin, chez M. Domecq, où il fait aussi bien le tour, l’ajustage, la forge, le sablage, l’étau-limeur, la motofraiseuse…
La réparation de bicyclettes (1901-1912)
À Belin, il loue un petit local avec le projet de s’occuper de vendre et de réparer des bicyclettes, en dehors de ses heures de travail. Il a de plus en plus de clients, embauche un ouvrier expérimenté et décide de se consacrer entièrement à cette activité.
À l’aide d’un crédit, qu’il n’a pu trouver à Belin, mais auprès de cousins à Hostens, il loue un nouveau local et se lance dans le montage de bicyclettes et dans la construction de cadres qu’il fait émailler à Bordeaux. Dans un local plus grand, il installe un atelier de quinze ouvriers et continue la vente dans l’ancien. Les commandes affluent. Il engage deux hommes pour la prospection (dont son propre frère) et ne rechigne pas à livrer ses commandes lui-même, y compris à vélo !
Déjà sensible à l’image de marque et soucieux d’augmenter sa clientèle, il a l’idée d’équiper de ses bicyclettes les facteurs de sa région, ce qui contribue à sa propagande.
À son affaire de cycles, il ajoute ensuite la vente de fusils, machines à coudre et cuisinières. Il est suivi par une clientèle qu’il sollicite jusque dans les foires des environs.
Désormais, il loue une maison dans Belin où sont réunis les parties : habitation, atelier et magasin. Grâce à un atelier d’émaillage, il devient entièrement fabricant de bicyclettes et rencontre Jules Paulin, l’homme qui le secondera jusqu’en 1951.
M. Jules Paulin : "intelligent, ingénieux, dévoué" ainsi le décrit L. Cazenave, dont il est le compagnon des premières heures. Pour les cycles, après que Louis Cazenave eut appris de la bouche d'Adolphe Grezy, à Bordeaux, les secrets de la fabrication du cadre, J. Paulin sera du premier atelier d'émaillage et, plus tard, à la fonderie et à la fabrication d'obus. Il décède le 04/02/1951.
Après 1906, la fabrication de cycles et le commerce marchant bon train, les locaux deviennent à chaque fois trop petits et le nombre d’ouvriers augmentant, il décide d’acheter l’ancienne verrerie de Belin (1 ha) constituée par un bâtiment de 600 m2 couverts.
La verrerie, transformée en fabrique des cycles Cazenave et une escouade d'ouvriers à vélo.
C’est à cette époque qu’il est tenté par la publicité sportive qui consiste à équiper des coureurs à l’occasion de certaines grandes courses. L’expérience ne dure pas et il décide de « supprimer les frais élevés que cela (…) occasionnait ». Il préfère la publicité dans la presse à travers une seule formule : « Prix-Qualité-Rapidité de livraison ». Sa clientèle augmentant, il cesse la vente au détail et confie à certains de ses meilleurs ouvriers des dépôts à Salles, Hostens, Arcachon, La Teste, Le Barp, La Brède…
« J’allais de succès en succès, je travaillais tant que je pouvais. »
La verrerie s'est agrandie, elle s'est dotée d'un château d'eau, il y a aussi du personnel féminin…et des enfants...
Toujours à la recherche de nouveaux moyens de développement, il imagine de solliciter les marchands de cycles de diverses régions en leur adressant deux bicyclettes à faire rouler pendant huit jours, qu’il pourront conserver pour 70 francs en cas de satisfaction. Louis Cazenave écrit : « mes prix étaient évidemment sans concurrence loyale possible ».
Fin des années 50, cette bicyclette (femme) Cazenave illustre la philosophie du constructeur : cadre mixte, éclairage, porte-bagage, pneus 1/2 ballon, carter de chaîne, pompe et… dérailleur "Simplex" pour 3 vitesses… les gens du métier dénombrent plus de 1500 pièces pour une seule machine et le dérailleur est, ici, la seule concession à "l'accessoire" (les Landes ne sont réputées pour leurs côtes ). Autrement dit : la bicyclette doit d'abord être utilitaire et robuste.
Le retour du bois
L’idée de faire commerce du bois ne pouvait rester longtemps étrangère à cet homme, entrepreneur inlassable. Déjà, ses premiers apprentissages s’étaient accomplis auprès de la machine à vapeur et de la locomobile. Il loue donc la machine et achète des pins et les débite.
Il fabrique ainsi des harasses qui servent à l’envoi des bicyclettes, il en vend même à ses confrères de la Loire, du côté de St. Etienne. À la sortie de la guerre, il possède sept usines et, en une année, produit 150 000 traverses de chemin de fer.
La « Grande Guerre » (1914-1918)
Les affaires sont arrêtées et il n’est pas mobilisé. En février 1915, il est affecté à Bordeaux au magasin d’armes, rue de Cursol. Il s’y rend utile, puis en avril, la demande du gouvernement en munitions l’amène à tenter d’usiner des obus dans ses ateliers de Belin . Il travaille pour de nombreuses fonderies de la région, puis décide de créer sa propre fonderie.
Une fois encore nous lisons cette phrase : « Plus que jamais je voulais produire toujours davantage ». En 1954, Louis Cazenave confie sa fierté d’avoir contribué à « l’effort de guerre » et d’avoir « probablement (…) sauvé la vie d’une partie de son dévoué personnel ».
La guerre terminée, la construction de bicyclettes – en sommeil jusque-là – reprend vite avec une fidèle clientèle. Par contre, il faut alors trouver d’autres objectifs pour la fonderie, alors que concernant le bois « la demande (est) encore énorme ».
Le coup de fatigue
À plusieurs reprises, Louis Cazenave l’a clairement énoncé : « je travaillais tant que je le pouvais… « une partie de la nuit, en plus des heures normales du jour… », « je m’imposais (…) une fatigue au-dessus de mes forces… »
Début 1919, une « douleur aigüe dans la colonne vertébrale » l’oblige au repos absolu puis à une cure à Bagnères-de-Luchon. Sans résultat. Un spécialiste bordelais diagnostique la lésion d’une vertèbre lombaire. L’immobilité étant de rigueur, un corset lui est posé. Cependant, malgré le handicap, il suit ses affaires au jour le jour. Selon Louis Cazenave, « la guérison (…) fut parfaite au bout de six années ».
Cependant, il s’est fait monter « une petite voiture avec des roues caoutchoutées » tirée par un poney pour se rendre à ses usines. Il ne conserve plus que la « scierie fixe ».
S’entourer de bons collaborateurs
En septembre 1919, il débauche son beau-frère des Chemins de fer et installe sa sœur,
Mme Praileur, dans les bureaux. Elle deviendra son bras droit : « je peux dire qu’elle a été et est toujours la cheville ouvrière de notre maison », écrit-il en 1954.
En 1925, le fils aîné, Guy (19 ans), souhaite collaborer à l’usine. Il prend en charge les cycles et son père confie qu’ « il a obtenu de très bons résultats ». Et, le patron dresse une liste de collaborateurs et collaboratrices « extrêmement dévoués et de valeur », insistant sur le temps consacré au travail et, souvent, sur leur « désintéressement ».
Le « matériel roulant »
C’est « une idée (qu’il avait) depuis un certain temps » : la charrette sur pneus.
la charrette à pneus, celle qui précède les remorques du "matériel roulant" des années 50-60
L’utilité de cette nouvelle branche d’activité s’affirme particulièrement auprès des exploitations forestières. Les fabricants de pneus confortent Louis Cazenave, qui s’exclame :
« la roue à bandage fer a vécu. C’en est fini, mon idée a fait tache d’huile ».
Quelques années plus tard, le fils cadet, Franck, sorti de l’Institut Catholique des Arts et Métiers de Lille et qui a fait son service militaire dans l’aviation, s’occupe spécialement du « matériel roulant » et de la branche bois.
39-40, « l’étrange défaite », puis les années d’occupation
Dans « Ma vie » (1954), Louis Cazenave écrit soudain : « la mobilisation sonne en 1939 ». Certes, le père a vu son fils cadet rappelé aux armes comme officier aviateur en mars.
Mais, l’entrée dans la guerre pour la France (comme pour la Grande-Bretagne) est le 3 septembre, deux jours après l’invasion de la Pologne par les Allemands.
Et, c’est le chef d’entreprise (prévoyant ?) qui révèle ensuite : « titulaire de marchés de guerre secrets… dès la première minute, j’ai pris toutes dispositions, aidé par mon fils Guy, pour exécuter ces commandes ». Puis, « considérant qu’il était de notre devoir de Français de produire le maximum… , le 1er janvier 1940… nous produisions mille obus par jour ».
Dix mois plus tard, lorsqu’intervient l’armistice, l’usine tourne à plein. Louis Cazenave est obligé de stopper son élan, à la fois patriotique et productif. La suite, c’est l’arrivée des Allemands à Belin et « l’inventaire des obus que nous avions », car bien qu’ayant tenté de faire porter ces obus à Bayonne, « il nous en restait ».
Comment l’occupant a-t-il pu ne pas réquisitionner l’usine ? Louis Cazenave écrit lapidairement : « nous avons pu réussir à ne pas reprendre cette fabrication pour eux ».
Cependant, il est conduit tout aussitôt à justifier :
— qu’il a réalisé « peu de bénéfices » pendant la guerre de 1914-18
— qu’il n’a pas gagné d’argent pendant la guerre de 1940-45 ( « ce n’est qu’entre et après les deux guerres que nous avons travaillé à des conditions intéressantes »)
Suit une tirade à propos du « marché noir », puis l’auteur reprend : « Pendant l’occupation allemande nous avons cherché à travailler au minimum pour eux ». Ce minimum est expliqué par le souci de « retenir à nos usines (…) la « plus grande partie possible de notre personnel ». Pour attestation, sont publiées quelques (3) déclarations signées témoignant des démarches effectuées par M. Cazenave.
Pour conclure sur cet épisode, Louis Cazenave cite cette phrase issue du rapport du contrôleur Rebière en date du 23 juin 1947 : « les Ets Cazenave n’ont travaillé pour l’occupant que par la contrainte et ont agi en bons Français ».
Les années 1950
Au moment où l’auteur rédige cet opuscule d’une cinquantaine de pages, intitulé « Ma vie », c’est-à-dire en 1954, les Ets Cazenave comptent 700 ouvriers et l’horaire hebdomadaire est de 48 heures. Le recrutement est pour l’essentiel local bien que, chaque jour, des cars amènent des ouvriers de la lointaine périphérie girondine (Facture, Bazas, Bordeaux…).
Louis Cazenave se dit « très attaché à (mon) personnel » et il en apporte quelques preuves tangibles. Sur une surface de 350 000 m2 (dont 40 000 ont été bâtis) ont été construits et développés par les Ets. Cazenave : 130 maisons à l’intention des employés et ouvriers « qui paient un loyer très modeste », une coopérative, une cantine, une société d’entr’aide (en complément de la sécurité sociale), ainsi que d’autres réalisations à caractère social : prime de naissance, capital décès (après 5 ans de présence), secours mensuels aux anciens employés, malades ou veufs, des fêtes à l’occasion des mariages, fêtes des mères, Noël et, chaque année une excursion en car…
Deux plaques de cadre "Cazenave" : de la première "classique", au temps où le slogan était "la bicyclette des reines, la reine des bicyclettes" à la dernière "moderne"...
Le journal « l’Athlète », hebdomadaire consacré à l’annonce des courses cyclistes et à la publication des résultats n’en diffuse pas moins régulièrement quelques articles à propos des Ets. Cazenave. Ainsi, en octobre 1952, l’article salue « la marque française de qualité internationale… une marque fille du sud-ouest, de chez nous » et, aussi, « le travail assidu, acharné, accompli par leur chef, par ses fils, son aîné Guy pour leur donner une extension telle qu’ils se placent aujourd’hui sur le plan national parmi les plus importants constructeurs de cycles et motocycles ».
Selon Ph. Jacquier, collectionneur bordelais, "la première (motocyclette) des Ets. Cazenave (ci-dessus) est en tous points identique à la Motobécane à moteur Sicam " (dans un courrier au "Motocyclettiste"). Au début des années 1920, la motorisation de la bicyclette s'impose aux établissements Cazenave. Cette "nouvelle bicyclette à moteur" s'appelle "La Cazenavette". De nombreuses règlementations permettront-elles de distinguer entre "vélomoteur, cyclomoteur, motocyclette, motocycle, mobylette…" ?
Lors du 40ème Salon de l’automoblie et du cycle, en octobre 1953, le journal note « la montée en flèche des motorisés et la baisse passagère de la bicyclette ». Pourtant, chez Cazenave, différents produits sont énumérés : « gamme de cycles, cyclomoteurs, vélomoteurs, motos de moyenne cylindrée, bicycles utilitaires, touristiques, cyclotouristes et un très joli choix de modèles d’enfants.
"matériel roulant"… triporteur, vélomoteur, mobylette, kart… avec ou sans moteur, les technologies s'échangent...
En 1957, « l’Athlète » énonce : « une bonne renommée ne se fait pas du jour au lendemain, encore moins à la faveur d’une période de facilité ainsi que le fut celle de l’après-guerre » et, dans cet article, les Ets Cazenave sont classés « parmi les 4 plus grandes firmes exportatrices françaises ».
Cependant, le 5 février 1958, le titre est : « Un grand chef d’industrie n’est plus ». En effet, Louis Cazenave est décédé à 71 ans, le lundi 20 janvier 1958. De son côté « Sud-Ouest » titre : « Belin a fait d’émouvantes obsèques à son bienfaiteur : M. Louis Cazenave ». Une foule considérable évaluée à plus de 2000 personnes constitue le long convoi où toutes les générations, corporations et institutions sont représentées, même les enfants des écoles.
"Les orages se sont assis autour des Landes, on dirait des vautours lourds" (B. Manciet, "l'enterrement à Sabres, 1989)
Le maire, M. Sedeilhan, s’incline devant la mémoire du grand industriel « au soir d’une vie prodigieusement remplie. M. Louis Cazenave fut avant tout l’homme de son époque et du progrés ». Et, il ajoute : « la moitié de la population travaille à l’usine. Nous lui devons tous directement ou indirectement notre prospérité ».
Le représentant de la Chambre économique et des syndicats girondins, M. Mosier, insiste sur la « grande compréhension humaine » du défunt et il souligne son « souci de remplir son devoir de chef avec équité » et sa façon « de se pencher avec sensibilité sur le sort de ses compagnons de travail ».
2. La Succession
Dans le préambule au texte qu’il écrit en date du 1er octobre 1954, intitulé « Ma vie », Louis Cazenave écrit : « Tous les instants de ma vie ont été jusqu’ici une lutte continuelle pour ma famille, mes usines, mon personnel. Je demande à Dieu de pouvoir la continuer jusqu’à mon dernier jour, secondé par mes deux fils, très attachés eux aussi aux affaires, ce qui me laisse espérer qu’ils continueront mon œuvre, et c’est pour moi une grande satisfaction. »
. Les fils Cazenave :
En 1905, à 22 ans, Louis Cazenave a épousé Mlle Fernande Herreyre. De ce mariage vont naître trois enfants, deux garçons, Guy et Franck et une fille, Gisèle, qui décède dans sa deuxième année. Entre les deux garçons, il y a onze ans d’écart. Guy, le premier, est né en 1906 et Franck, le second, en 1917.
Dans le texte intitulé « Ma vie », Louis Cazenave explique : « en 1925, mon fils aîné, Guy, après de très sérieuses études a manifesté le désir de ne pas les poursuivre davantage et de venir collaborer avec moi. Il s’est attaché principalement à développer la fonderie et le cycle, branches dans lesquelles il a obtenu de très bons résultats ».
Ce n’est qu’en 1938 que Franck, « mon jeune fils… sort ingénieur de l’ICAM à Lille et s’engage dans l’aviation pour faire sa période militaire ». Deux ans plus tard, « il vient prendre sa place parmi nous et s’occupe spécialement de la fabrication du matériel roulant (…) et de notre branche bois ».
Il y a donc entre les deux frères 13 années d’écart pour l’entrée dans la vie active et la participation à l’entreprise. Franck va presqu’aussitôt quitter l’usine. Officier-aviateur en 1939-1940, il rejoint la « France libre » en 1942.
Ainsi que Louis, le père, s’en défend : « au cours de la période 1940-1944 et pendant l’occupation allemande (…) nous avons cherché à travailler un minimum avec eux (les Allemands) tout en le faisant suffisamment pour justifier la retenu à nos usines de la plus grande partie de notre personnel ».
Le père et fondateur de l’usine « affirme également » : « nous n’avons pas gagné d’argent pendant la guerre 1940-1944, ce n’est qu’entre et après les deux guerres que nous avons travaillé à des conditions intéressantes ». Franck Cazenave n’a pas vraiment connu l’usine pendant la période de l’entre-deux-guerres, et la période des années 1950 est marquée par la fin de vie du père et les soucis que lui cause sa succession.
note dactylographiée de Louis Cazenave (LC) conservée par J.L. Brouste
Dans une note dactylographiée adressée à « M. Duflot » (probablement son notaire), datée du 5 février 1957 (un an avant sa mort), Louis Cazenave révèle que « notre inventaire général 1956 se solde sans bénéfice après avoir fait 1 milliard 600 millions de chiffre d’affaires. C’est une véritable catastrophe ». Comme il l’a toujours fait, il en tire des conclusions d’économie raisonnable. Mais, il a aussi en tête sa succession au sujet de laquelle « l’idée (a été) ébauchée que l’un des deux (fils) désintéresse l’autre ».
Or, « en présence d’un tel résultat, il est matériellement impossible (…) de proposer à un de mes enfants de prendre toute l’affaire commerciale et de désintéresser l’autre ». Plus loin, nous relevons : « malheureusement, la mésentente entre eux, continue ce qui agrave la situation, car s’ils s’entendaient tous espoirs pourraient être permis ».
À plusieurs reprises, Louis Cazenave trahit les soucis liés à sa fin de vie : « … si nous ne faisons rien et que je disparaisse sans avoir rien fait, il est à redouter le pire à mon décès ».
Celui-ci survient en février 1958.
. Franck Cazenave : « un jeune héros se lève »
Franck Cazenave (1917-1974)
Selon la note biographique publiée par l’Assemblée Nationale, Franck Cazenave, « titulaire d’un diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers de l’Institut Catholique de Lille, débute très jeune, à la fin des années 1930, dans la vie professionnelle dans l’industrie comme gérant de plusieurs sociétés (société immobilière des Ets. Cazenave, société immobilière de Belin, société belinoise de construction de logements) (…). La seconde guerre mondiale le conduit à se distinguer par « d’exceptionnels services d’ordre militaire » (…) combattant en 1939-1940 comme officier-aviateur, (ayant) rejoint la France Libre en 1942 (il) reçoit pour son action plusieurs décorations (croix de guerre, officier de la Légion d’honneur…) ».
Peu après le décès de son père, il devient adjoint au maire de Belin en mars 1959. « Notable local exerçant de plus en plus de responsabilités syndicales et professionnelles nationales et internationales (dans le bois, parquet-caisses et dans le cycle), membre du CNIP (Centre National des Indépendants Paysans) il appartient à la droite modérée.
En 1962, il est candidat à la députation contre le député gaulliste sortant, Lucien de Gracia, maire d’Arcachon. Il est élu au 2ème tour grâce, en partie, « à un report des voix de gauche sur le candidat centriste ».
Franck Cazenave est donc entré définitivement en politique. Il devient ainsi député de la Gironde jusqu’à son décès en cours de mandat, le 9 août 1974.
Dans le dossier consacré aux « Usines Cazenave », consulté au service des archives du journal « Sud-Ouest » le 25/11/2013 (merci à Mme Marchetto), le journaliste chargé de l’enquête révèle que « Franck Cazenave a acheté en 1962 les parts de son frère dans l’entreprise pour la somme de 180 millions ». Au cours d’un entretien à son domicile à Biganos, le 6 février 2014, M. Massoc (cadre dans l’entreprise de 1949 à 1970) nous apprend que « les parts s’élevaient à 300 millions, mais que la somme de 180 millions correspond à ce qui a été versé au comptant ». Le journaliste, quant à lui, avait noté : « il a du emprunter ».
Guy, le frère aîné, dont la femme est d’origine parisienne, se replie à Paris, où il décède le 11/11 / 1972, à 67 ans.
À ce moment-là, l’usine compte 800 ouvriers.
. L’intermède « Paloma » :
En 1962, une équipe « Margnat-Paloma-d’Alessandro » participe à son premier Tour de France. Cette équipe fait suite à une série d’associations d’équipementiers cyclistes avec le sponsor « Margnat ».
La possibilité ayant été offerte aux maisons de cycles de se lier avec une marque extra-sportive, une vieille maison de négoce en vins de Marseille, celle des frères Margnat, permet l’association avec les cycles Coupry, du nom de l’ancien pistard, coureur de 6 jours, Georges Coupry, fondateur du V.C. Marseille. En 1958-1959, il s’agit de « Margnat-Coupry » avec des coureurs azuréens : Anastasi frères, S. Bianchi, R. Elena, J. Gil, N. Lauredi, C. Mattio…
Le directeur sportif est Raoul Rémy.
Toujours formée essentiellement de coureurs provençaux (Siniscalchi, Buzzi, Iacoponi, Bellone..) l’équipe est ensuite équipée par les cycles « Rochet » associés aux vins « Margnat » (« avec Margnat votre estomac est toujours en vacances »), au cours des saisons 1960 et 1961.
Présentation de l'équipe pour le Tour 1963 : J.Anastasi-F.Bahamontès-A.Darrigade-J.Gestraud
-J.Graczyck-E.Martin-C.Mattio-J.Milesi-J.Novalès-E.Pauwels-J.Segu et R.Rémy, directeur sportif
En 1962, la publicité « Margnat » est associée à la marque de cycles et cyclomoteurs Paloma, dont le siège est situé à St Ouen. Raoul Rémy, le Marseillais d’origine, est toujours le directeur sportif, mais le recrutement intègre, entre autres (Novalès, Jo. Velly…), et un certain Federico Bahamontès (vainqueur du Tour de France en 1959). À partir de 1963, le siège social est situé à St Ouen, au siège des Ets Valette et le nom du club sportif devient l’A.S. Marseille-Paris. Le vice-président est M. Henri Vuillierme, lequel est le P.D.G. de la S.N.E. Paloma. Selon M. Massoc, c’est aussi « un grand copain de Franck Cazenave ». Au début des années 1960, les engins motorisés à deux roues, les cyclomoteurs ont du succès auprès de la jeunesse. Dans le film « D’où viens-tu Johnny ? » (scénario d’Y. Audouard !), Johnny Hallyday pilote le « Super Flash » de « Paloma » avec Sylvie Vartan comme passagère. C’est le cyclomoteur de la « nouvelle vague » aux allures italiennes. Car la concurrence est rude en matière de deux roues motorisés (8 millions d’exemplaires en France !).
Sur cette publicité on note que les "nouvelles usines" sont bien les "Ets Cazenave, à Belin (Gironde)
Selon « l’Avenir d’Arcachon », dans son édition du 7 juillet 1964, « très récemment, un accord de fusion est intervenu entre la société Paloma et les Ets Cazenave. Dans le cadre de cette fusion commerciale et industrielle, les fabrications de Paloma (récemment encore exécutées à Romorantin…) ont été groupées avec celles des Etablissements Cazenave ». Le journal détaille ensuite les bénéfices d’une telle concentration – « si fréquente de nos jours » -et rapporte que « les établissements Cazenave, spécialisés depuis longtemps, surtout dans la production de bicyclettes, (peuvent) ainsi reprendre pied sur le marché des véhicules à deux roues motorisés, secteur qu’ils avaient quelque peu délaissé ».
M. Massoc, que nous avons consulté en compagnie de Gilles Rosière, évoque à plusieurs reprises les problèmes liés à « l’après-vente » qui sont bien plus importants avec le secteur motorisé qu’avec les cycles. En particulier, « les procès qui durent » comme dans le cas du moteur « VAP ». Or, pour les machines « multi-vitesses », chez « Paloma », le moteur est un « Morini », « importé d’Italie dans le cadre du marché commun européen ».
Voilà dans quelles circonstances Franck Cazenave est invité à entrer dans le « sponsoring sportif ». Implication que son père avait, en son temps, jugée trop dispendieuse. Un document vidéo « INA » en fait un acteur important – avec le docteur Dalbos – de l’étape du Tour qui arrive à Bordeaux, le 10 juillet 1964. Mais, le héros du jour est bien André Darrigade qui, sous le maillot « Margnat-Paloma », parvient enfin à gagner à Bordeaux.
Cette carte dédicacée à l'intention de M. Massoc, cadre de l'entreprise à Belin, est constituée d'une
photo prise sur le vélodrome de Bordeaux-Lescure après la victoire d'étape - tant attendue - d' André
Darrigade en 1964.
Cette même année, F. Bahamontès – avec le même maillot – enlève le Grand Prix de la Montagne. Cependant, il est étonnant de constater que le nom « Cazenave » n’apparaît nulle part ailleurs que sur les camionnettes publicitaires admises pendant deux jours dans la caravane qui précède le Tour de France. Ce constat fait écho à cette remarque d’un collectionneur, qui, à la recherche de pièces sur Internet, évoque « la confusion qui entoure la gamme Cazenave-Paloma ».
l'un des deux véhicules publicitaires (Paloma-Cazenave) présents sur le Tour de France
M. Massoc, qui a conservé une carte de vœux expédiée depuis Madrid par F. Bahamontès, nous confirme que « l’équipe coûtait cher (35 à 40 millions, essentiellement le salaire des coureurs) ». Par ailleurs, selon ce témoin, les vélos qui portaient la marque « Paloma » étaient montés « tout Campagnolo » dans les usines de Belin sur des cadres « Carré », conçus par l’artisan parisien.
En raison d’une nouvelle réglementation qui proscrit la publicité pour l’alcool sur le maillot des sportifs, l’équipe disparaît en 1966.
. Les premières difficultés :
PDG des établissements Cazenave, maire de Belin (1965), conseiller général (1967), réélu député de la Gironde en 1968, Franck Cazenave qui – pour le journaliste de « Sud-Ouest » - paraît avoir compté « sur ses connaissances à l’Assemblée Nationale » pour des marchés importants à faire fructifier », se trouve, cette fois, confronté à la réalité politique à l’occasion des événements de Mai1968.
Et, surtout, les « accords de Grenelle » des 25 et 26 mai qui mettent face à face les représentants du gouvernement (Pompidou 1er ministre, J.M. Jeanneney et J. Chirac…), les syndicats et les organisations patronales débouchent sur une augmentation de 35% du SMIG et de 10% en moyenne des salaires réels au 1er octobre. S’y ajoutent la réduction du temps de travail et la récupération des journées de grève. La loi du 27/12/1969 oblige à la création de la section syndicale d’entreprise.
À Belin, selon le dossier « Sud-Ouest » consulté, les conséquences en auraient été 440 licenciements. Pendant les événements, l’usine a été fermée huit jours. Franck Cazenave, confronté à un piquet de grève qu’il réussit à contourner n’aura pas ensuite la réplique élégante. Dans ces établissements qui ne l’ont pas connu jusque-là, le syndicalisme naît en 1968.
Cependant, les premières difficultés liées à la gestion seraient apparues dès 1965. Jusqu’en 1969, l’activité évolue en dents de scie entre chômage partiel, heures supplémentaires et réembauchage. À cette date a lieu la première assignation de l’URSSAF. Selon le témoignage de M. Massoc, le chiffre d’affaires est alors de 7 milliards et les pertes se monteraient à 450-480 millions. En tant que cadre de l’usine, gestionnaire du magasin de toutes les pièces, M. Massoc était en relation avec les quatre banques, dont il nous donne la liste : Société Générale, BNP, Crédit Lyonnais, Banque Algérienne devenue Courtois. Fin 1969, trois de ces banques cessent leur soutien aux Ets Cazenave. L’hypothèse selon laquelle le PDG Cazenave paierait ici l’option politique du député Cazenave en faveur du candidat Poher contre le candidat Pompidou pour l’élection à la Présidence de la République, reçoit l’agrément de notre témoin.
Bien que réélu Président de la chambre syndicale de l’industrie du cycle, F. Cazenave ne prend plus part à la direction des Ets Cazenave. Élu maire d’Andernos en 1972 grâce au report des voix de droite et du centre, il entame en 1973 un quatrième mandat de député sous l’étiquette des Républicains Indépendants, mandat au cours duquel, vaincu par la maladie, il décède. Franck Cazenave est enterré dans le jardin (terrain ?) familial en face de l’usine créée par son père.
L’industrie du cycle en France de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1960 :
La bicyclette connaît sa forme définitive (= deux roues de diamètre égal, entraînement de la roue arrière par une chaîne, un pédalier et des pédales) vers 1890. Cela survient après de nombreuses péripéties, parmi lesquelles les formes extravagantes du « Grand Bi » et des tricycles et, aussi, les éclipses dues à la guerre de 1870 et à son impact sur la rivalité industrielle avec l’Angleterre.
Ensuite, cette invention « fin de siècle » devient l’un des premiers engins techniques manufacturés de la « révolution industrielle ».
L’invention d’une première bicyclette par les frères Gauthier à St Etienne en 1886 peut être le point de départ de ce qui constituera le premier essor industriel de la région stéphanoise jusque vers 1922. L’association de deux techniques, celle du forgeage (arme) et celle de l’estampage et de l’emboutissage (métallurgie) soutenue par la puissance de la machine à vapeur dans le cadre et l’architecture de l’usine, donne alors la « Manufacture Française d’Armes et de Cycles » (MFAC en 1899). Ainsi que le suggére Max Baumann à propos des usines « Cazenave » ( Bordeaux , vol. 2 Métamorphoses, 1984), « la comparaison avec Manufrance, sauf les armes et toutes proportions gardées, s’impose ». D’autant qu’il est acquis que « Cazenave » fournit des « harasses » à ses collègues de St. Etienne. Il y a donc des relations qui ne peuvent maintenir l’industrie girondine dans l’ignorance du modèle stéphanois.
scènes de travail de l'atelier du cycle dans l'usine Cazenave : en haut, montage de roues par
du personnel féminin, en bas, montage de cadres par un personnel masculin
La taxe sur les vélocipèdes du 1er juin 1893 permet d’avoir – malgré les fraudes – une première estimation du parc de bicyclettes en France à ce moment : 151 043 machines. Six ans plus tard en 1899, le chiffre est désormais de 838 856. Objet distinctif pour amateurs aisés d’extravagance, la bicyclette se démocratise – par le biais de la production industrielle – et, en 1904 on compte alors 1 520 458 bicyclettes en France.
Diffusion de la bicyclette en France entre 1984 et 1904
Le développement de cette industrie (cf. « L’industrie du cycle dans la région stéphanoise », André Vant, éd. lyonnaises d’art et d’histoire, 1993) s’effectue cependant dans un cadre complexe où, mécaniciens et armuriers, artisans et commerçants, constructeurs et monteurs mélangent leur savoir-faire respectif. L’usine (telle la MFAC) les rassemble, mais ils n’en continuent pas moins à exister individuellement. De sorte que se crée en 1896 une chambre syndicale des fabricants de cycles et de tricycles et des industries qui s’y rattachent. Et, entre 1962 et 1974, Frank Cazenave, le fils cadet de Louis Cazenave est le Président de la Chambre Syndicale Nationale du Cycle (CSNC).
Une première crise – de surproduction – survient à la fin du siècle, liée à la concurrence des productions anglaises et américaines. Puis, au Salon de Paris en 1906, trône la « luxueuse automobile » qui relègue au second plan son hôtesse, la modeste bicyclette, devenue « cheval du pauvre ».
au Salon, à Paris
Au début des années 1920, l’usine génère des soucis qui ne sont plus seulement les nuisances liées à la production de fumées. En mars 1924 à St Etienne, l’effervescence ouvrière se manifeste par une grève qui implique la moitié des ouvriers. Dans un milieu où, jusque-là, « patrons et ouvriers ont une origine commune », le patron de droit divin est remis en cause par la syndicalisation naissante.
À l’automne 1926, la crise économique atteint une industrie qui doit s’adapter à la loi des huit heures de travail quotidien. À ce moment-là, il y a en France, pour 40 millions d’habitants
7 112 818 bicyclettes. Mais, c’est désormais « le cycle contre l’automobile ».
Au cours des années 1930, encore sur fond de crise, les patrons sont sujets au fantasme de la « peur sociale ». Conséquence : en 1938, « tout ouvrier participant à la grève rompt son contrat de travail ».
Malgré cela, l’époque est aussi marquée par de nouveaux progrès : la bicyclette de route devient « la Polymultipliée » grâce au dérailleur (cf . A. Raimond et le « Cyclo », après Panel et le « Chemineau » en 1911), lequel est - enfin - autorisé en course sur le Tour de France en 1937. L’allégement connaît une nouvelle ère avec le « duralumin » (1933, première manivelle et 1935, le fameux « Stronglight » de Vérot et Périn). À partir de 1936, le Front Populaire « ajoute le charme du cyclisme au plaisir du camping ».
Après les cinq années de guerre et d’occupation, la reprise est difficile en raison du manque de produits, de combustibles et de transports. Et 1951 marque le début de la fragilité, car, pour la première fois depuis la Libération, les chiffres stagnent, des entreprises licencient et apparaissent les premières faillites.
Alors, « le cyclomoteur remplace la bicyclette », lequel, avec d’autres engins motorisés, favorise l’essor de quelques marques : Motobécane, Vespa, Lambretta, Solex…
Mais, la demande en cycles et cyclomoteurs s’effondre à partir de 1956 et cela n’est sans doute pas étranger au départ des contingents de jeunes hommes appelés en Algérie.
Développée à partir des années 1920, la bicyclette à moteur (cf. la « Cazenavette ») est définie par les pouvoirs publics en 1929 comme « un engin actionné pas les pédales, d’un poids de 30 kg, propulsé par un moteur de 100 cc et ne devant pas dépasser la vitesse de 30 km/h ». En 1943, ces mêmes pouvoirs publics portent la limite de cylindrée à 125cc, sans limitation de poids et de vitesse et sans obligation de pédales. Naissent alors le « cyclomoteur » (moins de 50 cc) et la motocylette (plus de 125 cc).
Le 25 mars 1957, la mise en œuvre du traité de Rome va obliger une industrie en crise à passer du marché national au marché européen. On assiste alors au regroupement de fabricants à l’instar du groupe FREXA: France-Exportations-Accessoires, constitué par les marques suivantes : Huret+Lamarque+Maillard+Sedis+Soubitez+Hutchinson. Et, il faut attendre 1968 pour que le niveau de production de cycles de 1950 (la dernière grande année) soit retrouvé.
Cependant, d’autres facteurs et d’autres adaptations se sont déjà produits au cours des années 1960. Le vélo d’enfant (avec le « baby-boom » 39,4% de la production en 1966) et le vélo pliant (gadget adapté à la voiture) sont venus relancer l’industrie française du cycle qui doit, à partir de 1970, faire face à l’explosion de la demande américaine. Ces années-là marquées par le « choc pétrolier » de 1973, puis par la montée de la concurrence internationale (Japon, Taîwan), sont frappées à partir de 1976 par le « syndrome Shimano », le développement de la vente en grandes surfaces et la montée de nouveaux modèles : BMX puis VTT.
À Saint-Etienne, Manufrance connaît une longue et douloureuse agonie jusqu’en 1979. En 1983, Motobécane dépose le bilan en même temps que la Société nouvelle des cycles Mercier. Dans les landes girondines, les usines « Cazenave » ont déjà fermé depuis 1975.
L'un des derniers vestiges de "l'Empire" Cazenave - au bord de la "route des vacances-
la haute cheminée sur laquelle se lisent encore les dernières lettres "…nave".
3. Chronologie de la fin des Ets Cazenave (1969-1976), à partir des communiqués du journal « Sud-Ouest »:
1970 : - les difficultés manifestées en 1969 amènent une entreprise en état de cessation de paiement devant le Tribunal de commerce de Bordeaux – les pouvoirs publics et certaines hautes personnalités régionales parfaitement au courant de la situation ne sont pas intervenues énergiquement à temps – pourtant, il y a encore des commandes pour 6 mois de travail.
- le 9/12 = table ronde à la préfecture
- le 10/10 = un répit est accordé… pas de poursuite de la part des créanciers et nomination d’un curateur
- le 19/10 = F. Cazenave est réélu Président de la Chambre Nationale des Professions du Cycle (CNPC)
(l’historique du CNPC le donne Président de 1962 à 1974.. !)
1971 : Les questions au député Cazenave, ses réponses et les premiers licenciements :
Franck Cazenave quitte la direction des usines qui portent encore son nom, mais continue en politique. Il aurait "tout perdu" soit 1 milliard 400 millions selon M. Massoc. Le département cycles qui avait été au départ de tout, puis dirigé avec succès par Guy Cazenave, est fermé...
- le 21/1 (édition d’Arcachon) « M. le député Cazenave répond à nos questions sur ses actuelles positions industrielles et politiques ». Dans cet article, F. Cazenave déclare : « Il convient cependant de noter que des entreprises familiales qui traînent derrière elles un passé paternaliste qui leur fait garder par esprit social un personnel ancien et un outillage relativement dépassé sont évidemment handicapées ».
« J’ai été amené officiellement, depuis janvier 1970, à ne plus prendre part à la direction des Ets Cazenave ».
« … ces accords ont été garantis par la mise à disposition de mes biens personnels, correspondant à la totalité des dettes que pouvait avoir à cette date la société vis-à-vis de l’Etat, acceptant en cela un très gros sacrifice ».
« … j’ai garanti par mes biens la totalité des engagements jusqu’au moment où j’ai cédé la direction de mes usines ».
- le 27/3 = les 40 premiers licenciements
- le 10/4 = la société des transports terrestres et maritimes Wallon, possible repreneur ?
durant les 4 derniers mois : 11 licenciés à Bordeaux, 51 à Belin et 20 démissions
- le 12/4 = une lettre de M. Cazenave relative à la situation : « une telle dénaturation des faits… à laquelle votre journal ne m’a pas habitué … »
- le 19/4 = lettre à S-O de M. Bouyssie (Le Taillan) : « …il semble que M. Cazenave aurait pu attendre que toutes ses dettes soient réglées pour manifester une vertueuse indignation ».
- le 30/8 = le département de cycles fermé… plus que 280 employés…
le personnel féminin, souvent en nombre équivalent à celui des hommes, auxiliaire de l'homme,
mais aussi usineuses sur machine-outil, soudeuse, centreuses de roues, monteuses de moyeux et,
encore, émailleuses, les"décoratrices", les"fileuses", parfois avec des salaires plus élevés...
- le 22/10 = depuis 1 an, la situation n’a cessé de se dégrader (au 1/9/70, il y avait 400 ouvriers)
1974 : Décès de F. Cazenave le 9 août
1975 : Licenciements et premières manifestations :
C'est vraiment le "début de la fin". A l'annonce de nouveaux licenciements, les ouvriers occupent l'usine. A l'occasion de la "migration des vacanciers", ils manifestent sur la RN 10.
- la société Cazenave a mis plus de 100 ouvriers au chômage
- 5/6/75 : Belin (33) : les ouvriers et cadres de la SAM Cazenave ont défilé pendant 2 heures sur la R.N. 10
- 26/7/75 : l’usine Cazenave occupée à l’annonce de nouveaux licenciements
- 27/7/75 : piquets de grève autour de l’usine Cazenave
- 29/7/75 : derrière les grilles de la SAM Cazenave
ouvrières et ouvriers derrière les grilles de leur usine...
- 1/8=: pas d’embouteillages sur les routes… sauf à Belin-Béliet… barrages humains en lutte pour la défense de leur outil de travail et, partant, de leur emploi…
- 6/8= questions à M. Angot, gérant et PDG de la SAM Cazenave
- 7/8= « sixième année de valse-hésitation »… le Syndicat des Métaux CGT 33 : « pas sacrifier sur l’autel du profit capitaliste »…
la mise en question du gérant de la S.A.M. :
Il se révèle que le gérant de la S.A.M., M. Angot, qui a , en 1972, relevé le concordat accordé à l'usine Cazenave et dont les procédés et la comptabilité sont loin d'être irrprochables, est enfin placé sous mandat de dépôt par M. de Charette, juge d'instruction.
- 12/8 = le gérant de la Société Auxiliaire de Mandat Cazenave, M. Angot, fait le point de la situation : reprise ou fermeture
- 16/8 = suite à la mise en règlement judiciaire de la SAM… réunion à Paris en présence de M. Angot, le maire de Belin-Béliet (« témoin neutre »)… grève poursuivie
- 23/8 = le CE répond au gérant :« 5 trimestres de non-paiement à l’URSSAF »
- 18/9/75 = intervention de F.O.- Fédération de la métallurgie… auprès de la DATAR
occupation de l’usine :
Autour de l'usine occupée, les tentatives se multiplient de toutes parts (politiques, Syndicales, meeting, solidarité), mais le pouvoir judiciaire menace, augmentant les craintes quant à la reprise de l'activité.
- 11/10 = licenciement collectif général envisagé à Belin-Béliet
- 19/11= une mise au point de M. Sergent I.G. de l’Economie Nationale : « la mise en liquidation des Ets Cazenave est une condition nécessaire et préalable…
- 22/11= « travailleurs et travailleuses »… jusqu’ici dans le calme et la dignité… la patience a des limites… »
- 26/11= intervention auprès du Pdt Poher via le Dr Dalbos
- 30/11= manifestation de solidarité à Belin… 300 personnes
- 1/12= (rubrique Belin-Béliet) important meeting des travailleurs (M. R. Brun s’était fait excuser, M. Sainte-Marie était présent)… ils ont enfin reçu leurs indemnités…
- 5/12= vers l’évacuation de la SAM Cazenave… y compris avec le concours de la force publique…
- 11/12= usine occupée depuis le 26 juillet (par 232 salariés qui ont assisté impuissants à la dégradation de la société Cazenave). Tribunal de Gde Instance de Bx. = 8 jours de réflexion
leur avocat Me Carayon souligne « le rôle de fossoyeur du gérant qui avait repris l’affaire en 1972.. »
- 18/12= le tribunal ordonne l’évacuation de l’usine … « demain 19 décembre »
- 20/12= (rubrique Belin-Béliet) « les assignations reçues, l’évacuation peut se faire (22/12/75) »
- 23/12= Appel du syndicat des métaux CGT : solidarité avec les « Cazenave », leurs enfants et les fêtes de fin d’année
1976 : Durcissement de l’action, ordonnance d’expulsion, évacuation de l’usine :
L'évacuation de l'usine et le règlement judiciaire constituent le dernier acte de cette tragèdie qui mène 105 ouvriers au chômage "pour raison économique".
- 30/12/75 : 2e acte en référé pour une évacuation totale (180-8)… « occupants sans titre ni droit » : il faut abandonner la place (et/ou) compromettre définitivement toute chance de reprise… ?
- 8/1= 2nd acte d’un référé à épisodes : l ‘ensemble du personnel n’aurait pas été assigné (sur 182, 2/3 présents)
-15/1= ordonnance d’expulsion cette fois pour 190 personnes (peut-être définitive)
- 31/1= vers la fin février, une solution se concrétisera pour la SAM Cazenave – syndicat de la métallurgie reçu par le préfet M. Doustin, 2 propositions d’industriels pour scierie et matériel roulant…
- 26/2= un sursis supplémentaire dans lequel on reparle de reprise partielle (la société Castéra pour le département roulage, la société Ruaud pour la scierie)
le secteur du "matériel roulant" est le seul des quatre secteurs d'activité des Ets Cazenave
à être repris par la société "Castera". Il s'agit surtout de remorques et semi-remorques, mais
"les essieux et tambours étaient fabriqués chez nous" ce qui posait des problèmes d'après-vente",
selon M. Massoc.
- 11/3= occupation de l’usine suspendue ce matin ?
- 12/3= les ouvriers de Cazenave durcissent leur action – demandent un inventaire par huissier
- 17/3=le conseil municipal de Belin-Béliet démissionne
- 18/3=une quarantaine d ‘emplois proposés dans un premier temps
- 8/4=la CGT à la Préfecture, reprise du matériel roulant par la société Castera au lieu de 80 personnes, 42 et avec des salaires inférieurs
- 12/3= les ouvriers durcissent leur action
- 13/3= les locaux évacués hier après-midi, vendredi à 16 heures
Prolongements :
Des leçons, pénibles à tirer, aux prophéties optimistes avec retour à la réalité.
- 21/9/76 : « Aux travailleurs de Cazenave sans emploi » R. Dartigues (F.O.) (« les laissés-pour-compte »)
- 15/12/1980 : Renaissance à Belin-Béliet : l’arrivée du renouveau, M. Borras…usine de montage de composants électroniques – appel à l’aide de la population locale : 25% du capital initial
- 27/4/ 1981 : France-Culture : une ville qui avait mal au chômage, plus de chômeurs grâce à une nouvelle usine et à la sous-traitance (Florence Mothe)
- 20/4/ 1984 : SA remorques Cazenave (Castera : 37 emplois) a déposé son bilan devant le Tribunal de commerce de Libourne, désormais en règlement judiciaire
Certes, « La Bêtise Consiste À Vouloir Conclure » (G. Flaubert) Mais,
« Frères Humains Qui Après Nous Vivez,
N’ayez Les Cœurs Contre Nous Endurcis,
Car, Si Pitié De Nous Pauvres Avez,
Dieu En Aura Plus Tôt De Vous Merci »
(François Villon)
« Sud-Ouest » en novembre 1975 publie trois articles signés Jacques Sylvain sous le titre : »Belin-Béliet ville morte ? ». Cela commence ainsi : « Le 25 juillet 1975, le cœur de Belin-Béliet s’est arrêté de battre. Tout le monde s’attendait à cette issue fatale, car la vieille usine était en mauvaise santé depuis une dizaine d’années. Ainsi, ce que Louis Cazenave avait édifié en un demi-siècle par « le travail et l’économie » s’effondrait en quelques années à travers « les arcanes judiciaires, les lenteurs de l’administration, les promesses des pouvoirs publics et les écueils de la politisation »
(J. Sylvain, S-O du 19/11/1976).
En 1977, l’hebdomadaire du Parti Socialiste publie « Comment meurt un village » pour illustrer à quel point la fermeture de l’usine « symbolise (…) pour ce petit village de 2688 habitants (…) la mort lente et inexorable d’une commune rurale ». Entre les recensements de 1968 et 1975, la petite cité a perdu 516 habitants (S-O, 19/11/1976).
C’était il y a presque quarante ans, personne encore n’alertait à la « désindustrialisation de la France ». Au contraire, les pouvoirs publics parlaient de maintien de l’emploi en zone rurale et d’implanter l’usine à la campagne. Pourtant, dans le secteur de la métallurgie déjà, à « Bordeaux-Sud » après « les chantiers de la Gironde », comme à « Renault-Couach-Marine » ou les « Bennes Marel », sous les reproches « d’erreurs de gestion » ou d’entreprises familiales qui ne savent pas se moderniser… mais, à St Joseph, un temps leader mondial du jersey (dépôt de bilan en 1976) , peut-être a-t-on entendu :
« on ne nous refera pas le coup de Cazenave ».
Nous souhaitons remercier :
Mme Marchetto, aux Archives du journal "Sud-Ouest".
M. Mossac, ancien cadre de l'entreprise, à Biganos.
M. Gilles Rosière de l'Association "Courant Alternatif" à Belin-Beliet.
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- Quelques reproductions, quelques commentaires et autres reproches...
- Gérard SAINT-MARTIN
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