Michel LEBLANC
Dans l’été 1961, un jeune Gradignanais, entraîné par ses copains, prend part à quelques courses à l’insu de son père. Michel Leblanc auquel « Kiki » Carros, son aîné de dix ans, a prêté un vélo, se révèle dans ces sorties comme un sacré « bagarreur ». Au point de « lâcher les autres »…
Sans l’autorisation paternelle, mais grâce à Carros qui joue les médiateurs, Michel Leblanc prend une licence aux Girondins de Bordeaux. La première course a lieu début juillet à Labarde, prés de Macau. Mais, pour la deuxième, « au village de Gradignan », il se retrouve échappé en compagnie de Michel Chazaud du SAB (voir « les Chazaud »). Il n’a pas encore 18 ans et Chazaud, tout juste 19. Au sprint, le vainqueur est Chazaud.
les deux "Michel", Chazaud et Leblanc, deux jeunes coureurs , Gradignan 1961.
Mais, en août, Leblanc gagne à Cadaujac pour les fêtes de la St. Louis après une échappée de 60 km. A Cestas, pour les fêtes de St. Roch, il s’incline au sprint devant Napias… il peste : « que des places ! », pour la quinzaine de courses qu’il effectue en juillet et en août, cette année-là. Aujourd’hui, il raconte comment il a surmonté ce manque de réussite au sprint. Désormais, il prend les choses en main très tôt…et de loin.
Napias à Cestas, Leblanc deuxième, "que des places !" (il va revoir sa façon d'envisager le sprint)
1962, les résistances paternelles sont vaincues : « il m’a laissé faire ». Ce père, travailleur à l’EDF, qui accompagnait les gosses pendant les vacances, n’était pas faovrable au sport (il avait refusé de laisser son fils partir à l’ASPTT, où l’on avait remarqué ses capacités en course à pied). Michel Leblanc confie : « il était très dur ».
Et Michel gagne le IVème Prix des cinémas à Pessac, le circuit du port de pêche à Arcachon, puis à St. Loubès, à St. Macaire et à Coutras. Il termine huit fois deuxième dont en « toutes » (catégories) à Villandraut et à St. Savin de Blaye.
Début mai, avec les « jeunes marine et blancs des Girondins » (R. Dutein), ils créent la surprise en remportant le Grand Prix des Espoirs à La Réole (95 km contre la montre par équipes) :
1. Girondins (Larquier-Leblanc-Paré-Roques) 2h 44’ 54’’ 1/5
2. V. C. Réolais (Buiatti-C. et F. Cuch-Jegeau) 2h 47’ 20’’ 3/5
3. E.S. Foyenne (Dubois-Fantino-Fortin) 2h 47’ 54’’ 4/5
4. S.A. Bordelais (Dal Sié-Debiard-Laborde) 2h 49’ 16’’
Ces résultats donnent une image assez nette des nouveaux talents en Gironde à ce moment-là.
Et, cela est confirmé par les classements du 3ème Omnium des Espoirs qui se dispute à St. Claud et qui voit la victoire de Fantino devant Leblanc, au terme des deux étapes :
1. contre la montre : 1. Murphy 20 km en 29’ 57’’ 2. Paré 3. Cuch… 17. Fantino à 1’ 54’’… 20. Leblanc à 2’…
2. l’après-midi, en ligne : 1. Leblanc 195 km en 2h 51’ 35’’ 2. Fantino même temps
3. Schwartz à 1’31’’ 4. Jagueneau à 1’33’’… 6. Leduc… 7. Labarthe…
Or, si Fantino l’emporte pour 6’’, Michel Leblanc raconte la colère du « père » Teillet (le dirigeant qui le suivait en voiture dans le contre la montre) selon lequel on lui aurait « ajouté » une minute
Fantino (1er) et Leblanc (vainqueur de l'étape en ligne), Criterium des Espoirs, St. Claud, 1962.
Alors, le journal annonce : « Michel Leblanc veut étaler ses atouts dans le Tour de la Bidassoa, avant le service ». Ainsi, il est écrit : « S’il est une montée ultrarapide dans le domaine régional de la « petite reine », c’est bien celle de Michel Leblanc, devenu en 1962, sociétaire à part entière dans les courses cyclistes des Girondins de Bordeaux ».
Une des premières victoires du jeune "marine et blanc" : Leblanc Michel.
« l’élève de Pierre Requet » est appelé pour la VIII. Vuelta Ciclista del Bidasoa, à Irun. Les Girondins y connaîtront une victoire d’étape grâce à J.P. Gouyetes et Michel Leblanc finit
41ème.
A cette époque, Michel travaille chez un cousin qui est charcutier-traiteur. Mais, la semaine de « vacances » prise pour cette « vuelta » lui fait perdre son boulot. La proximité du service militaire le pousse à se consacrer entièrement au vélo.
Ainsi, à 19 ans, Michel fait une saison complète et cumule 28 places. 21 ème est la place qu’il occupe au terme du Grand Prix de France à Montceau-les-Mines après 72 km contre la montre. Il y est venu par le train avec son camarade de club Roques (Bordeaux-Montceau-les-Mines en 1962 !) et leur voyage – raconté aujourd’hui – ressemble à « au bout de la nuit » :
Train+vélo+valise+accueil+hôtel à l’autre bout de la ville… dans un pays que l’on ne connaît pas.
Une génération du début des années 60, entre "cyclisme des villes" et "cyclisme des champs", six compagnons de la "petite reine" (de g.à d.): Anspach (décédé en Agérie)-Perletti-Leblanc-Larquier-Pommé-Dulhoste.
Vient alors le temps du service militaire, en 1963, au 31ème génie de Libourne. Cela va durer 18 mois, pendant lesquels il ne court pratiquement pas. Heureuse exception, il est pris trois mois à Joinville pour préparer le championnat de France militaire qui se dispute à Colmar. A l’arrivée sur le vélodrome, il se classe 2ème après 4h 30’ de course et un lot de concurrents parmi lesquels figurent Chappe et Raymond. Durant cette période, il remporte le bouquet à Pellegrue et se classe 7ème d’un Bordeaux-Périgueux gagné par R. Darrigade. Une épreuve de 178 km au cours de laquelle, échappé à la sortie de Vanxains, il n’est repris que 23 km plus loin, après St. Vincent de Connezac.
Entre temps, Michel Leblanc s’est marié et deux garçons sont arrivés : Jean-Michel en 1964 et Philippe en 1965. Plus tard, en 1970, il est le père d’une fille, Sylvie.
Les deux années qui viennent, 1965 et 1966, sont les deux meilleures années de Michel et, aussi, les dernières.
Le 25 avril 1965, lors du X° criterium de Cenon, c’est lui qui lance la course avec Julio Jimenez, qui va « catapulter Poulidor vers le succès ». Il finit premier régional.
Dans la roue de Julio Jimenez à l'assaut de la "Vieille Cure", Cenon - 1965.
Michel Leblanc (premier régional) et Raymond Poulidor (vainqueur), Cenon, 25/04/1965. Entre eux, à l'arrière-plan, Henri Genés ("le facteur de Santa Cruz").
Dans Bordeaux-Clérac, il gagne une étape et termine 2ème au classement général. Dans la région, il gagne à La Brède, à Sauveterre de Guyenne (2. Siniscalchi), à Brocas, à St. Ciers sur Gironde et à Marcillac de Blaye (2.Bileau) :
Marcillac-de-Blaye, 1965 : le bouquet pour Michel Leblance devant le Charentais Bileau.
Mais, il entreprend aussi le voyage dans le centre de la France (Hte Vienne, Corrèze, Creuse) où, ainsi que le disent aujourd’hui les coureurs, « il y avait de l’argent ». Il cumule les bouquets à St. Yrieix-la-Perche, La Graulière (« plus rapide au sprint, Leblanc règle ses compagnons d’échappée, Fraisseix et Fabre », René De Santi, qui accompagne le plus souvent Michel, est 4ème), à St. Christophe-les-Forges, à Sornac (2. Huiart 3. Rabaute 4. Daunat 5. Dufraisse).
Le journal « La Montagne », peu avare en commentaires et présentation des courses, témoigne :
- La Serre : « le tandem Lachaud-Leblanc redoutera le Bordelais Leblanc »
- Messeix : « Leblanc, très peu connu, mais à notre avis extrêmement redoutable et favori n°1 »
- St. Christophe-les-Forges : « Laville et Leblanc contre la coalition aurillacoise »
- Sornac : « Leblanc était le plus véloce »
Après le criterium de Cenon, le journaliste bordelais s’autorise à prédire que « Michel Leblanc doit trouver dans les courses par étapes le moyen de réussir dans la carrière cycliste ». Or, dès ses débuts, les Girondins l’avaient emmené au Tour de la Bidassoa en 1962. Il y retourne en 1965 avec une équipe composée de : 7. J. Da Ros 8. A. Frigo 9. R. Le Guen 10. Leblanc 11. G. Colas 12. C. Dulhoste.
L'équipe des "Girondins de Bordeaux" au Tour de la Bidassoa en 1966 : Castaing-Frigo-Daunat-Purgues-Dupouy-Leblanc (de g.à d.)
En 1965 aussi, il termine 2ème du classement des grimpeurs au Tour du Gard. Il prend part au Trophée Peugeot, le 13/06 à Valentigney, une épreuve nationale réservée aux Espoirs de moins de 24 ans. Sur la liste des engagés, il porte le dossard 67 et figure derrière Laforest Maurice, n°64.
Avec le criterium de Cenon, celui de Beaulac-Bernos met en scène les rapports du jeune Leblanc (22 ans) avec le monde professionnel. Ainsi que le titre « Sud-Ouest-Sport-
L’Athlète », « le Bordelais Leblanc a tenu tête aux grands ». En effet, au 20ème tour, Leblanc parvient à rejoindre le trio qui s’est échappé : Beheyt, Den Hartog, Rostollan. Il raconte aujourd’hui – et visiblement amusé – comment, au final, il a senti passer à sa droite et à sa gauche les « pros » qui se disputaient la victoire :
1. Den Hartog 110 km 2h40’ (41,200) 2. Beheyt 3. Leblanc 4. Rostollan 5. Milesi à 1’5’’
6. R. Darrigade 7. De Santi… 14. Suire 15. Ocana…
La section cycliste des Girondins de Bordeaux fête 75 licenciés et 58 victoires en 1965. Pour la « cheville ouvrière », Pierre Requet, les deux meilleurs éléments ont été Christian Terradeils et Michel Leblanc. Il est temps de faire des projets pour 1966. Dans cette perspective, Leblanc et Frigo vont « finir l’hiver au camp de la Côte d’Azur dirigé par Gaston Plaud ». Cependant, Michel Leblanc refuse à Gaston Plaud de faire partie de l’équipe Peugeot
pour le Tour du Nord. Il préfère les côtes aux pavés… Au Trophée Peugeot, il se classe 16ème d’ une course gagnée par Ducasse (Créteil) en 4h 38’ 46’’ (il y porte le dossard n°60 et Christian Leduc le n°61…).
Pourtant, il gagne le Tour du Lot-et-Garonne devant Michel Perrin (168 km en 4h20’) et finit 2ème du Tour de la >Corrèze (1. Perrotin). En septembre, lors de la « Vuelta a Cantabria », il gagne la « sexta etapa » entre Potès et Comillas et termine 13ème au classement général.
Dans la région, il gagne encore à Nersac devant F. Campaner et à Mourens devant Ocana (2ème Grand Prix du Printemps : 49 partants, 14 arrivants).
Victoire au Grand Prix de Nersac : Francis Campaner, au centre, est second. Michel Leblanc, à droite, n'a pu se souvenir du nom du troisième coureur présent sur la photo (nous l'ajouterons dès qu'une bonne volonté nous l'aura soufflé. La récompense est un MERCI !)
Il échoue à la deuxième place du championnat d’Aquitaine (1. A. Delort).
Et, il est retourné dans le Centre et le Limousin glaner de belles victoires :
- à St. Pardoux-le-Vieux (« très à l’aise, la plupart du temps en tête, Leblanc imposait une allure interdisant tout retour…)
- au Dorat, où le deuxième est Fraisseix
- à Sornac, où il renouvelle « son succès de l’an dernier » (2. Peter 3.Perrotin 4. Lachaud)
- à Eygurande, il laisse échapper la victoire au profit de Barthélémy (Aurillac), mais le journaliste de « La Montagne » qui le qualifie de « héros du jour », donne la parole à un spectateur : « C’est vraiment pas de chance, il aurait mérité la victoire ! » En effet, pendant deux heures, Michel Leblanc a fait « un impérial cavalier seul » (une échappée solitaire lancée au 14 ème tour, alors qu’il restait 31 tours à couvrir, avec la « terrible montée de Malleviale »). La faute à une paire de chaussures « encore insoumises ». M. Leblanc avait oublié ses chaussures et dû s’en acheter d’autres.
Mais, il est encore présent au Grand Prix de Meymac (5ème, 1. Perrotin), à la nocturne de Limoges (6ème, 1. Altig 2. Bitossi 3. Janssen), au Prix Philipps de Brive (6ème, 1. Mazeaud 2. Daunat).
L’année qui suit, 1967, s’annonce sous les meilleurs auspices. L’équipe « Bières 33- Gitane », dans laquelle figurent Guimard, Berland, Dupuch, S. Lapébie, entre autres, montée par le Breton Caradec fait appel à ses services. Deux courriers, fin décembre 66 et début janvier 67, lui annoncent qu’il est prévu dans l’équipe pour Paris-Nice et qu’il doit « retirer sa bicyclette de course Gitane, chez Grézy , 100, cours V-Hugo à Bordeaux.
Survient alors l’impondérable. Un accident de la circulation automobile, dont il n’élude pas la responsabilité, qui le prive de voiture.
Michel, qui est déjà père de deux garçons, se voit proposer un travail et, donc, un salaire. Il rentre dans l’immobilier et l’assurance. Une aubaine pour lui, qui n’a pas été longtemps à l’école. Mais, il va se rattraper. Il s’inscrit au cours de la FNAIM et apprend un autre « métier ». A partir de 1972, il opère sur le marché de la maison individuelle. Quand on l’interroge sur son métier – qu’il pratique encore – il répond : « marchand de biens ».
Confortablement installé dans sa maison « californienne » du centre de Gradignan, il ne cultive aucun regret : « Qu’est-ce que j’aurais fait ? » Et, si l’on insiste pour savoir pourquoi il a stoppé si brutalement une carrière bien commencée, il avoue avoir cédé à « l’immédiat ». Pour aussitôt nous prendre à témoin sur les fins de carrière difficiles de certains de ses contemporains, et non des moindres.
D’avec le vélo, la rupture a été quasiment totale. Un bref retour, juste pour accompagner quelque temps Damien Lafaurie (CC Marmande), le fils d’un copain de l’US Gradignan football, trop tôt décédé.
Juste avant ses 70 ans, Michel Leblanc, qui se qualifie lui-même de « grande gueule », celui qui n’avait pas peur d’attaquer d’entrée, de lancer le sprint de loin pour ne pas être dépassé dans les derniers cent mètres, le coureur qui aimait monter avec « gros » et qui, d’un seul coup a tout arrêté, « sans jamais recevoir un coup de téléphone », l’homme, enfin, dont la seule émotion affleure quand il évoque son « petit frère » qui n’a pas eu de chance (la « polio »), celui-là « ne regrette rien ».
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