Memovelo

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Histoire du Grand Prix cycliste de Meymac (1946-1973)

 

 

 

 

Avertissement - Cette recherche, entamée en Août 2012, a bénéficié de l'aide précieuse de Mme Murat-Terracol, au service des Archives départementales de la Corrèze à Tulle. Une autorisation d'utiliser les articles et photos du journal "La Montagne" nous a été accordée par M. Gironde, Directeur des publications à Clermont-Ferrand et une licence de réutilisation d'informations publiques détenues par les archives départementales de la Corrèze a été signée par Mme Berlière, Directrice à Tulle.

 

 

"Ils quittent un à un le pays

Pour s'en aller gagner leur vie

Loin de la terre où ils sont nés…"


chanson de Jean Ferrat.

 

 

 

Paul et Philomène, mes deux grands-parents maternels, sont originaires d’un même petit village, Lafont d’Ambrugeat, à 9 km. de Meymac, en Corrèze. A l’instar des migrants corrèziens, dont la figure la mieux connue est celle du négociant en vins, la famille avait conservé le goût de « l’estivage » (cf. « De la montagne au vignoble, les Corrèziens ambassadeurs des vins de Bordeaux, 1870-1995 »,  Marc Prival, publication de l’Institut d’Etudes du Massif Central). Lors des vacances d’été, particulièrement au mois d’août, un retour au pays d’origine s’effectuait.

 

situation de Meymac en Corrèze, sur l'axe Massif central-Océan, entre Ussel et Tulle, mais déjà à l'écart de la RN 89, avant l'autoroute A 89... 

 

 C’est ainsi que j’ai poursuivi, avec l’aide de mon père, ma collection de courses cyclistes sur et autour de ce plateau où se niche Meymac et que l’on appelle « le Plateau de Millevaches » : Bugeat – Bort-les-Orgues – Egletons – Felletin – Lubersac – Meymac – Peyrelevade – Treignac – Ussel…

 

 

extraits de "l'Athlète-le Sportif" du 25/07/1962, rubrique "Du pain sur la planche"

 

 

De toutes ces courses, celle que j’ai le plus suivie, a été – avec le « Bol d’Or des Monédières » - le Grand Prix de Meymac.

Régulièrement disputé pendant la semaine qui suit le 15 août, ce moment où l’été bascule définitivement, le Grand Prix de Meymac représente, à l’articulation des années 50 et 60, l’épreuve difficile et relativement longue (125 km), qui voit s’affronter, sur un circuit qui n’a rien du « tourniquet », les meilleurs régionaux, indépendants et/ou professionnels, venus aussi bien de la Provence, du Sud-ouest, de Paris que du Centre de la France.

Au palmarès de cette course sont inscrits les noms de champions de France comme Geminiani, Dupont, Huot, mais aussi de vainqueurs du Tour de France (Ocana, Zoetmelk). On y relève aussi les noms de « grimpeurs patentés » comme : Bergaud, Salvador, Gil.., de jeunes « pros » issus de l’école francilienne : Valdois, Beaufrère ou d’excellents « indés » du sud-ouest : Darnauguilhem, Rascagnères, Mazeaud…

 

Nous avons concentré nos recherches sur la période 1946-1973 pour deux raisons essentielles :

- d’abord, parce que le Grand Prix cycliste de Meymac n’est plus organisé pendant 12 ans, de 1974 à 1986,

- ensuite, parce qu’il est remplacé à partir de 1986 par un « critérium cycliste professionnel ».

 

Cette rupture et ce changement sont, à notre avis, concomitants d’autres évolutions :

- la disparition de coureurs appelés « indépendants », annoncée en 1967 et définitive en 1969,

- le glissement progressif de Meymac et ses environs vers le tourisme et l’animation culturelle (aménagement du plan d’eau de Séchemaille avec son VVF et le Centre d’art contemporain) au moment où s’installe le « vide industriel » du pays (sauf le bois et, pour quelques temps, l’installation de l’usine Bristol-Meyers-Squibb, sous l’impulsion du député Chirac).

 

« Il y avait de l’argent »

 

La réflexion des coureurs, lorsqu’ils se souviennent de certains lieux et de certaines courses, les amène parfois à dire : « Là, il y avait de l’argent ». Pour ceux qu’une telle déclaration choquerait (il y en a peut-être de moins en moins…) rappelons au moins deux faits concrets :

  • Le cyclisme est, avec la boxe mais avant le football, un des premiers sports à se professionnaliser et, par ailleurs, personne (même ceux qui n’ont jamais pratiqué) n’en conteste la dureté.
  • L’âpreté au gain (« un sou est un sou »), « être dur au mal » sont des attitudes familières pour les natifs de la Corrèze, pays dont on a pu écrire qu’il « un creuset qui rend les hommes plus durs ». Les faibles aptitudes agricoles du plateau de Millevaches sont aussi une des conditions qui poussent les habitants de Haute-Corrèze à la migration, après 1872. Les premiers sont les scieurs de long qui vont vers les ports de l’Atlantique et le massif forestier des Landes. A défaut de routes, c’est aussi la rivière et les gabarres qui mènent le bois de merrain vers ces pays où l’on met du vin dans des fûts. Mais, il y eut aussi des maçons de la Creuse pour le Paris revu par Haussmann.

 

Et, si les Corréziens de Paris sont aussi connus pour leurs bistrots et leurs taxis, une corporation se distingue nettement des autres parmi les métiers de ces migrants, c’est celle des négociants en vins. A la fin du XIXéme siècle (à partir de 1880), Meymac, situé au pied du plateau de Millevaches entre Ussel et Tulle et sur l’axe Auvergne-Océan, va être desservi par le chemin de fer. Et, si Meymac a pu devenir « près Bordeaux », elle le doit au train. Les négociants en vin ont contribué à enrichir le pays, mais ces hommes, qui voyageaient 4 à 6 mois par an, élevaient aussi une douzaine de vaches et vivaient à l’économie. En conséquence, nul n’était mieux placé que le pays meymacois pour apprécier et soutenir les efforts des coureurs cyclistes.

 

 "apprécier et soutenir les efforts des coureurs…"

 

En 1963 (1er : Claude Mazeaud), Henri Cohendy écrit dans le journal « La Montagne » (le 21/08) : « Vient qui veut à Meymac. Le comité des fêtes et le V.C. Meymac ignorent que le mot « contrat » existe dans le dictionnaire ou fait fureur actuellement dans le vocabulaire cycliste ». Et, Raphaël Geminiani – devenu pour un temps journaliste – l’avait déjà formulé en 1960 : «  ici, il n’y a pas de prime de départ… » « Les coureurs sont donc obligés de se donner à fond s’ils veulent gagner leur journée »(1962). Annonçant le XIIIème Grand Prix, mardi  à Meymac, ce même journal insiste : « les coureurs viennent toujours en nombre à Meymac, car la course est richement dotée et des primes importantes sont disputées à chaque tour… des coureurs qui ont l’occasion de recueillir une abondante moisson de billets. »

 

 

« cette manne dorée qui tombe à chaque passage » (21/08/1956)


 

En 1956, la course est dotée de près de 500 000 francs de prix et de primes. A chaque tour, il y a 2000 francs de prime et, tous les 5 tours, 5000 francs. Le vainqueur de la course empoche 80 000 francs. En 1955, le jeune Valentin Huot (il a alors 21 ans) qui, cette année-là, a gagné le Tour de Corrèze et la Polymultipliée  (mais abandonné le Tour de France), est l’animateur de la première moitié de la course et il « rafle plus de 10 000 francs de primes ».

Max Vedel (en 1971) désigne « les petits « pros » - qualificatif s’attachant non à leur personne mais à la modicité de leurs cachets, ce qui est tout à fait différent – fermement décidés pour leur part à garnir leur escarcelle en s’attribuant quelques primes ».

Même si « les temps changent » (Bob Dylan) et si tout évolue (suppression de la catégorie des « indépendants » en 1969), « les organisateurs doivent être félicités pour leur cran ». On leur fait dire : « Nous préférons donner  des prix substantiels aux coureurs qui veulent venir à Meymac et non verser des cachets à des vedettes qui n’en font pas pour leur argent ».

Autre caractéristique du Grand Prix de Meymac, « chaque coureur qui termine le circuit est assuré de percevoir 20 NF » (1962). En effet, dans les années 50, il n’est pas rare de compter une centaine de coureurs au départ. Et le règlement précise que « tout coureur doublé doit descendre de machine », le circuit faisant néanmoins plus de 4 km. En 1961, sur 60 concurrents au départ, ils ne sont plus que 15 à l’arrivée et, en 1959, sur 61 partants, 9 seulement terminent.

 

« Un circuit particulièrement difficile »

 

Le tour de circuit épouse la forme d’un huit. Le tracé est sinueux , les virages serrés et le dénivelé sévère avec un point culminant à 706 m. Le départ est donné « place de l’ancienne bascule », l’arrivée se jugeant un peu plus haut face au monument aux morts et « au droit de la perception ». La « belle et longue ligne droite de l’avenue limousine » qui mène au carrefour des 4 routes offre déjà 300 m de pente relativement douce et s’achève en épingle à cheveux, au moment où les coureurs attaquent la côte du quartier Panazol.

 

 les concurrents attaquent la montée de "la Fontaine-du-rat"

 

Cette côte « qui fait très mal aux concurrents » s’élève « le long d’un raidillon appelé aussi « côte de la Fontaine-du-rat » dont le pourcentage atteint parfois 13%, sur une chaussée étranglée entre les maisons. Suivent quelques instants de répit avant de plonger vers le pont de Lachaud, puis de revenir par l’avenue du Jasonneix vers le carrefour des 4 routes pour entamer la deuxième boucle du « 8 » et descendre vers le carrefour du stade.

 

 en haut, quelques instants de répit pour le groupe de tête conduit par Kosec (à droite) et R. Elena (à gauche), on peut reconnaître derrière Ruby, Saint, Barone, Bertrand M. et Queheille...

 

Mais, « il fallait à nouveau reprendre le petit braquet pour se hisser vers le groupe scolaire…, (puis) le virage de la bascule placé juste avant la ligne droite d’arrivée, coupait l’effort des participants et les obligeaient à repartir de zéro » (J. Carducci, 1959).

Le tour qui mesure 4,2 km est à effectuer 30 fois, soit à peu près 126 km. En moyenne, les coureurs mettent 7’ 30’’ pour faire un tour et la course dure plus ou moins 3 h 30’.

En 1957 (le 22/08), l’envoyé spécial du journal « La Montagne » résume ainsi : « La longueur, et surtout le profil du circuit meymacois est des plus propices aux réalisations d’exploits pour les courageux ». Et son confrère, Jacques Carducci, peut ajouter ensuite : «  malgré la classification dans le rang des circuits en ville, le Grand Prix de Meymac sort de l’ordinaire » (1959).

A cela, Max Vedel ajoute (le 26/08/1971) : « Il suffisait d’un coup d’œil sur le peloton dès le premier tour pour se rendre compte, hier à Meymac, que la course n’avait de criterium que le nom : Cyrille Guimard avait oublié sa facétie préférée des courses de kermesse qui constitue, pour lui, à suivre le mouvement en queue de peloton en tirant sur une corde imaginaire… »

« Avec la côte qui va de la bascule à la gendarmerie » (1956), le parcours pourrait paraître « de prime abord…(être) l’apanage d’un  grimpeur » (1958). Certes, la côte de Panazol, véritable mur, terrasse « les ennemis des grimpettes ». Mais, c’est aussi une course pour « dégringoleurs ». « La variété du profil routier est de nature à satisfaire des gaillards solides qui n’hésitent pas, en descente, à faire la cour au danger pour obtenir la victoire » (24/08/65).

En conséquence, « il est quasiment impossible de revenir après une crevaison » (Carducci, le 26/08/59).

« A Meymac, il faut vider son sac sur l’asphalte pour y trouver les raisons d’un succès » (1965). Alors, Raphaël Geminiani peut conclure : « lorsque nous aurons des parcours aussi sélectifs que celui-ci, les courses seront toujours belles. Cela nous change des parcours plats qui n’ont guère de mérites sportifs et qui servent trop la combine ». (24/08/1960)

 

 

Candidats et lauréats

 

 

 

La liste des engagés :

 

 

 

 - Tableau réalisé à partir du programme du Grand Prix cycliste de Meymac (mardi 19 août  1958) et à l’aide des informations croisées et vérifiées avec « l’Encyclopédie mondiale du cyclisme » ( Sergent – Crasset – Dauchy, éd. De Eecloonaar, 2003) et « Le Tour des régionaux » (Legrand, éd. Sutton, 2010).

 

 

Les numéros de dossard sont à droite et correspondent à l’arrivée des engagements, dont certains ne seront pas honorés. Ainsi que l’indique ce programme : « Les orgainsateurs s’excusent auprès du Public dans le cas où des coureurs, régulièrement engagés et figurant sur cette liste, ne prendraient pas le départ. Des précisions sur les engagements de dernière heure seront formulées au micro. Cette liste Officielle a été établie le Mardi matin à 11heures ».

En effet, sur le programme et à partir du n°61, certains noms de coureurs ont été rayés. D’autres, en dernière partie, ont été r ajoutés.

Si – compte tenu de quelques erreurs éventuelles – cette liste peut être acceptée comme représentative d’une participation au Gd. Px. de Meymac (ici, en 1958), on peut alors faire les constatations suivantes :

 - il y aurait plus de 100 coureurs au départ (= 104), dont la moitié (ou presque =50) a participé ou participera dans les années suivantes au Tour de France (cf. A. Legrand, « Le Tour des régionaux »). Parmi ces concurrents, certains ont été ou seront professionnels, sans forcément participer au Tour (surlignés en jaune).

 - Mis à part les Bretons (certainement occupés par la « mi-août bretonne »), de nombreuses régions ont envoyé de solides représentations :

   . la Provence-Côte d’azur : Vitteta-Ferri-Meysenq-Mirando-Iacoponi-Milesi-Napolitano-Flifel-Elena-Lerda-Bianchi-Polo-Siguenza-Lauredi-Anastasi-Busto…

   . le Centre, l’Auvergne, le Limousin : Rioux-Colette-Buchonnet-Ruby-Dejouhannet-Kosec-Dufraisse-Fraisseix-Anglade-Scribante-Lampre-Bertrand H.-Buzzi…

    . la région francilienne : Vermeulin-Million-Meneghini-Fournier-Pavard-Moucheraud-Raynal-Lach-Hoffman-Le Dissez-Régent…

   . le Sud-ouest : avec le club de Barsac qui rassemble des ex-Parisiens et des Girondins (Barmier-Plaza-Sitek-Gaudot-Dupuch-A.-Dacquay) et les Béarnais-Landais et Pyrénéens (Abadie-Batan-Loustalot-Sabbadini-Gay-BertrandM.-Dolhats-Desbats-Dupré-Rascagnères-Mosello)

Les « initiés » (depuis 1998) peuvent bien brandir leur pancarte avec le mot « Mafia », nous cherchons en vain parmi la centaine de concurrents inscrits la trame d’une souterraine alliance capable de dessiner le scénario et de désigner à l’avance le vainqueur de cette épreuve (et cela sans en revenir au circuit lui-même). Mais, nous n’ignorons pas, non plus, ce que suggère lourdement l’envoyé spécial de « La Montagne » (24/08/1966) : « Le fait de ne pas porter le même maillot n’exclue pas la camaraderie… nous devions constater ceci quelques heures avant ce 20ème Gd . Px. de Meymac, en guignant du coin de l’œil la table où Manzano, Epaud, Daunat, Perrotin et un ou deux autres coureurs prenaient un frugal repas avant l’épreuve de l’après-midi ».

Nous estimons plutôt cette liste et cette participation comme représentative du cyclisme d’une époque et d’un type de course à la fois difficile et ouverte. Et, surtout, nous souhaitons en revenir toujours à ce constat : qu’ils soient « indés » ou « pros », tous ces coureurs sont là pour gagner de l’argent et, plus simplement encore, pour gagner leur vie. Cette réalité n’a pas échappé aux organisateurs.

 

Les chasseurs de primes : 


Devant la difficulté de l’épreuve il serait à craindre une certaine monotonie de la course dans sa première partie. Mais, les premiers animateurs sont souvent motivés par l’octroi des primes qui se disputent à chaque tour. Le journaliste peut écrire que « les fervents des primes sont ceux qui bientôt disparaissent » (1962), mais il en est qui résistent au-delà, comme V. Huot (55), F. Delort (63), Barjolin (65), Epaud (66), Mazeaud et Manzano (68) ou Ghisellini et Genty (71)… Certes, il est classique de voir Marcel Buzzi entamer « sa cueillette habituelle »(60) et Maurice Bertrand (55), Bonifassi (59) ou Zannier (66) se font aussi remarquer dans ce rôle.

Considérant les caractéristiques de la course (le circuit, le nombre de participants…), certains coureurs jouent donc à fond la carte des premières primes. A défaut de « gagner sa journée », le coureur s’assure le défraiement de son déplacement.

Cependant, il faut distinguer, dès le premier tour, entre les « chasseurs de prime » et les attaquants, parfois décidés à créer une échappée pour tenter d’aller jusqu’au bout. Huot (55), Delort (63), Mériaux (64) ou Barjolin (65) vont animer  plus de la moitié de la course : « Attaquant de la première heure… Daniel Barjolin (rattrapé par Beaufrère et Mazeaud) est encore du trio qui crée la décision à deux tours de la fin ». Mais, à 4 km du but, il est victime d’une crevaison et termine quatrième. En 1962, Fernand Delort est en tête du premier au treizième tour… il anime l’épreuve disputant toutes les primes. Et, le journaliste de raconter : « Aussi, imaginez un peu la stupéfaction des spectateurs quand, après le regroupement général survenu à mi-course, ils aperçoivent une nouvelle fois Delort, accompagné de Gil et de Busto ».

En 1955, Valentin Huot est l’homme de la première moitié de la course. Outre l’abondante moisson de primes qu’il effectue, il est « en grande partie responsable de la moyenne horaire remarquable enregistrée (39, 200 km/h). Et, il travaille « ensuite pour son camarade de club, Belloc ». Sans doute une expérience profitable puisque, l’année suivante, il remporte le Grand Prix.

En 1964, « Mériaux domine le premier tiers de la course », mais au 12ème tour Mériaux est repris, puis Beaufrère part seul, et à cinq tours de la fin il est repris par le futur vainqueur Claude Valdois.

En 1966, Guy Epaud effectue « 24 tours solitaires », mais il paye ses efforts ensuite.

En 1970, Jean Dumont, en tête dès le 4ème tour, n’est rattrapé qu’à 6 tours de la fin , ne pouvant plus résister. « Le meilleur animateur du jour » se classe alors 3ème derrière Ghisellini et Daunat.

« L’exploit sans précédent » est l’œuvre de Luis Ocana en 1967 (soit 6 ans avant sa victoire dans le Tour de France). En tête dès le départ, il entame alors une chevauchée solitaire, « augmentant son avantage au fils des premiers tours ». « Et pour la première fois de l’histoire du Grand Prix International (le journal a pourtant titré : « Louis Ocana… », puis l’a nommé « le Tarbais », alors que l’Espagnol est le seul des « non-français » dans les 18 premiers.. !), un  coureur réalisait l’exploit de doubler le peloton grâce à un effort solitaire ». Et, « cinq tours avant la fin, il partit à nouveau de l’avant, prenant une nouvelle fois de vitesse ses rivaux les plus directs ».

Il y a donc, au moins, trois ou quatre comportements « tactiques » différents :

- les chasseurs de prime du début de course, persévérant parfois jusqu’à la mi-course.

- les audacieux qui tentent très tôt l’échappée décisive, parfois trop tôt…

- ceux qui construisent patiemment l’approche de l’arrivée dans le groupe de tête, en misant tout sur le dernier tour et la ligne droite d’arrivée.

Cette dernière attitude semble être la plus rationnelle. C’est celle que met en œuvre Gérard Saint en 1958.  «  Le puissant Gérard Saint paraît en cadence et se signale dans le groupe de tête qui commence à se dessiner… A mi-course, toujours six hommes en tête. (…) Le public admire la souple allure coulée du Normand Gérard Saint, qui opère une razzia de primes et devient le favori de beaucoup tellement il fait preuve d’aisance. (…)

 mains de chaque côté de la potence, Gérard Saint donne la cadence dans la montée de Panazol

 A trois tours de la fin, les deux « Geminiani », Saint et Barone, se détachent progressivement et terminent dans l’ordre ».

 

Lauréats par séries :

 

57-58-59 : c’est la période des « St. Raphaël-Geminiani ». Successivement, Dejouhannet, Saint et Bergaud qui portent ce même maillot remportent l’épreuve.

 

 Gérard Saint, vainqueur en 1958 (à 23 ans). L'année suivante, il confirme en terminant 9ème du Tour de France (2ème du classement par points et 2ème du Grand Prix de la Montagne) au sein de l'équipe de l'Ouest, puis en remportant le Bol d'Or des Monédières. Il décède le 16/03/1960 dans un accident de voiture...

 

Entre 1947 et 1950, deux coureurs auvergnats gagnent à deux reprises le Grand Prix :

Raphaël Geminiani, qui a déjà gagné le 1er Pas Dunlop en 1943, mais abandonné le Tour en 1947, gagne à Meymac pour la première fois cette année-là et récidive en 1948, après avoir terminé 15ème du Tour de France.

Roger Buchonnet, qui l’emporte en 1949 et 1950 (mais qui termine encore 5ème en 1957 et 4ème en 1961), se classera 31ème du Tour de France en 1951.

Ces deux coureurs portent, alors, le maillot des cycles « Metropole-Dunlop ».

L’ère des « Peugeot-BP » est inaugurée en 1960 par Elie Rascagnères, puis continuée par Valdois (1964), Beaufrère (1965), Perrotin (1966) et J.P. Danguillaume (1972).

La « vague » des grimpeurs provençaux est attestée par les victoires de Salvador en 1961 (4ème aussi en 63 et 64) et de Gil en 1962 (2ème encore en 1963).

La présence constante des « Mercier-BP » est aussi marquée par les victoires de Claude Mazeaud (1963-1968), Ocana (67) et Ricci (69).

 

« Le méritant récompensé » :

 

Mais, une autre lecture du palmarès s’impose. Déjà exposée dans « l’histoire du Grand Prix cycliste de Lagorce-Laguirande », la recherche peut se focaliser sur le « méritant récompensé ». En 1955, Armand Darnauguilhem (déjà 3ème  en 1951), qualifié de « joyeux vainqueur du IXème Grand Prix », déclare au micro : « cela faisait quatre ans que je cherchais la victoire ».

En 1960, le désormais journaliste R. Geminiani décrit « l’erreur fatale de Gil ». Mais, le « grimpeur azuréen » gagne tout seul en 1962 et finit 2ème en 1963.

En 1964, Bernard Beaufrère se contente de la troisième place derrière Mazeaud et Gil. L’année suivante, il « tente sa chance » à nouveau, mais rejoint par Claude Valdois il doit se contenter de la 2ème place. En 1965, ce sera « la bonne » et il triomphe devant Mazeaud et Gestraud.

 

Y a-t-il un profil-type du vainqueur à Meymac ?


La réponse ne peut être catégorique, mais si l’on observe quelques cas comme ceux, d’abord, de :

- Louis Bergaud ( 2 victoires 53 et 59, deuxième en 56)

- Claude Mazeaud (2 victoires 63 et 68, 2 fois 2ème 65 et 69, 2 fois 3ème 61 et 71)

- Gilbert Salvador et José Gil, déjà cités,

trois vainqueurs pour 5 Grands Prix et de nombreuses places d'honneur… et, presque le même gabarit : Louis Bergaud, Claude Mazeaud et José Gil

 

- Manuel Manzano (3 fois 2ème 61-66-67, 4ème en 70 et 5ème en 65)

- Paul Pineau (3 fois 2ème en 48-50-51)

- et quelques autres…

on est obligé de constater que ce sont surtout des « grimpeurs », donc des coureurs de petite taille, en tout cas  plus légers que d’autres gabarits, peut-être plus complets, comme le furent Ocana (67), Danguillaume (72), Labourdette (71) Campaner (2 fois 3ème en 67 et 72). Et, pourtant, le palmarès retient les noms de Jacques Dupont (champion olympique du Km à Londres en 1948, 2 fois vainqueur de Paris-Tours) et Michel Dejouhannet (vainqueur au sprint d’une étape du Tour de France (59), connu comme redoutable « finisseur »).

 

"Une épreuve-mascotte"

 

Au sortir de la seconde guerre mondiale et jusqu’en 1973, le Grand Prix cycliste de Meymac connaît ses « vingt-six glorieuses ». Les deux dernières éditions avec leurs lauréats : J.P. Danguillaume en 1972 (au sprint devant R. Poulidor) et Joop Zoetelmek (devant Danguillaume et Ocana) en 1973 annoncent pourtant la « deuxième vie » de cette course qui ne sera plus organisée entre 1973 et 1986, année où elle reprendra sous l’appellation « Criterium cycliste professionnel ».

Des attaches familiales avec le pays de la Corrèze, une passion « contrôlée » pour le cyclisme en général et une certaine « proximité » avec les courses et les coureurs régionaux, nous ont incité à esquisser « l’histoire du Grand Prix de Meymac ». Mais, ce sujet nous a semblé, plus particulièrement, représentatif de ce qui a été jusqu’au début des années 70, « le cyclisme régional ». Un sport difficile et exigeant, mais où il est possible de gagner un peu d’argent et où la frontière entre professionnels et « indés » peut être franchie dans les deux sens.

L’importance du cyclisme régional est même attestée par l’organisation du Tour de France qui, jusqu’en 1961 au moins (et depuis 1928, cf. « Le Tour des régionaux », A. Legrand, éd. Sutton, 2010), fait se confronter des équipes nationales (Belgique, Espagne, France, Hollande, Italie…) avec des équipes représentant les grandes régions françaises ( Paris, Nord, Est, Sud-Est, Sud-Ouest, Centre, Ouest…) et constituées par les forces vives de ce cyclisme que Marc Madiot désigne encore au début des années 2000 dans l’expression « courses de nos villages ».

En 1962, le journal « l’Equipe » annonce la course dans un petit encadré : « Cette épreuve, la dernière importante de la saison du Limousin, si brillamment ouverte par le Bol d’Or est un peu considérée comme une épreuve-mascotte dans le monde du cyclisme car, depuis dix-sept ans qu’elle se court, il est sans exemple que le vainqueur ne se soit pas distingué par la suite ».

Une « épreuve de renom » donc, estimée comme « le sommet de la saison cycliste en Haute-Corrèze » pour « l’engouement qu’elle suscite dans la région ». En réalité, le Grand Prix cycliste de la ville de Meymac, qui n’a pas tout à fait le retentissement du « Bol d’Or des Monédières » vit longtemps son indépendance vis-à-vis de son voisin prestigieux de Chaumeil, grâce à son identité. Celle-ci est constituée par son circuit, son inscription dans le calendrier, son cadre et son public. Les journalistes de « La Montagne » ne lésinent pas dans la description de cet environnement :

 - le paysage : « Dans une infinie variété de verts pâturages… de champs blonds et de bois touffus… Meymac s’érige gracieusement sur le plateau… » allant même jusqu’à noter « …au loin, l’or des genêts pique le mauve des monts du lieu… »

 - l’ambiance : « Dans Meymac en fête la fièvre monte d’heure en heure…une foule considérable et enthousiasmée qui se presse (…) autour du magnifique circuit… Meymac en fête et ensoleillée… ce qui prouve que cette grande course est bénie… une foule dense… un extraordinaire engouement populaire… où les robes aux couleurs éclatantes jettent des notes multicolores… »

 - la course cycliste est « le clou des fêtes qui encadrent un concours ovin réputé », accompagnées parfois par « un défilé de chars fleuris, des cosaques djiguistes et le feu d’artifice » (1956). C’est aussi « une magnifique organisation (avec)… l’appui total de la municipalité…(un) service d’ordre impeccable assuré par la gendarmerie et le corps des sapeurs-pompiers ». Cette « entreprise du comité des fêtes de Meymac aidé dans sa tâche par le VC Ussel » (après le VC Meymac)…attire régulièrement « 5 à 6000 personnes ».

 

 Eclipse et changements

 

Pourtant, l’épreuve  n’est plus organisée pendant 12 ans. Curieusement – mais, sans doute pour des raisons différentes – le Bol d’Or des Monédières n’est plus organisé, déjà depuis 1968, et jusqu’en 1982, ainsi qu’Arsène Malauvé le fait raconter par Alain Ségurel dans leur  livre (« Le Bol d’Or des Monédières, 50 ans de vélo et d’accordéon », éd. La Bouniotte, 2006). Mais, il y a, peut-être, quelques points communs.

Ces deux organisations aux identités différentes s’inscrivent cependant toutes les deux dans un même cadre : l’été en Haute-Corrèze et l’intérêt d’une population pour le sport cycliste. Quelques changements vont entraîner des ruptures et des évolutions.

deux premières pages du programme, austères mais tentées par la référence à l' "International"...

 

Meymac, dont le programme faisait timidement figurer l’adjectif « International » après l’intitulé « Grand Prix Cycliste » sur le programme de la course (1958, 1960) va se clore provisoirement en 1973 sur la victoire d’un Hollandais (certes, l’un des plus « français » du peloton) Joop Zoetemelk, et la troisième place d’un Espagnol, Luis Ocana ( de Mont-de-Marsan, mais que le journaliste, pour sa victoire en 1967, a appelé « Louis » et nommé « le Tarbais »).

Par ailleurs, la fin des années 60 est marquée par des tentatives de réforme du cyclisme français, auxquelles le capitaine Marillier (en provenance du Bataillon de Joinville) va apporter son concours et son autorité… La suppression de la catégorie dite des « Indépendants », hypocritement rebaptisée « amateurs HC », pour l’objectif apparent de « filtrer » l’accès au statut « professionnel » et sous le prétexte de sauver « un sport malade » (cf. Cyclisme magasine n°17, 06/01/1970), va entraîner (au moins) la disparition de courses comme celle de Meymac, qui opéraient le mélange et la confrontation entre « indés » et « pros ». Ce type de confrontation avait d’ailleurs été validé par le temps : d’une part, la catégorie des « indépendants » a été créée justement pour permettre à certains coureurs de se confronter aux professionnels et, d’autre part, pour permettre aux « ex-pros » de se reclasser. En 1970, sous le regard (encore, mais pas pour très longtemps…) implacable de l’olympisme, certains sont encore très soucieux de séparer le sport en deux univers : le monde « amateur » et le monde « professionnel ». Mais, le cyclisme ne fait pas mystère – et depuis longtemps – de son rapport à l’argent. D’ailleurs, dans les criteriums avec les « pros », les discussions sont parfois houleuses autour des deux significations du mot « gagner » : la course et/ou de l’argent ?

En l’absence du Bol d’Or des Monédières, autrefois considéré comme la dernière course d’importance avant les championnats du monde, on note, en 1971, la présence du capitaine Marillier sur le circuit de Meymac et, en 1973, la presse ne se prive pas de relever la présence de « 4 des meilleurs tricolores du moment (qui)… participeront la semaine suivante aux championnats du monde à Barcelone… », cela dans un « plateau » réduit à 26 coureurs.

 

L’arrêt de l’organisation du Grand Prix cycliste de Meymac entre 1973 et 1986 correspond à cette perte d’identité. Ceci est confirmé par le changement d’appellation. Il s’agit désormais d’un « criterium cycliste professionnel », dans lequel « L’Essor du Limousin », le journal partenaire, croit voir une « renaissance » et « renouer avec le passé ». Mais, il n’y a plus que « six amateurs aux côtés des trente « pros » (titre de « La Montagne », le 04/08/1987).

Et, surtout, le circuit a changé. Du « huit » d’autrefois, il ne reste que la boucle du bas. La difficile côte de Panazol a disparu. L’organisation est confiée à « l’office municipal du tourisme avec le concours de la ville de Meymac et l’appui technique de l’Amicale cycliste de Monestier-Merlines et du comité du Limousin ». Alors qu’en 1959, il est demandé « un droit d’entrée de 2 NF par personne », maintenant le billet coûte 30 NF…

 

épilogue

 

Le vide industriel du pays commence à partir de 1977. Il est suivi d’une ceraine marginalisation de la cité, due à l’absence d’échangeur pour accéder à l’autoroute A89, Lyon-Bordeaux… Dans les deux Meymac, « volets clos et volets ouverts », « ville hivernale et ville estivale » où viennent encore « les migrants qui n’ont pas (…) rompu avec le pays » (Marc Prival), subsiste jusqu’en 2008 une course cycliste sous la forme d’une « nocturne », organisée le 13 juillet par le VC Ussel et ouverte aux 2ème et 3ème catégories…

 

1960 : le vainqueur du Grand Prix de Meymac, Elie Rascagnères franchit la ligne d'arrivée devant de copieuses rangées de spectateurs qui bordent de chaque côté l'avenue limousine. Le jury des commissaires ne devrait pas avoir de mal à classer les arrivants… Elie Rascagnères est alors indépendant et porte le maillot des "Peugeot-BP". Ce Toulousain a gagné le Tour de la Corrèze cette année-là et à Peyrelevade en 1958 et le circuit de Vienne-Gartempe en 1957… Passé professionnel en 1960, il ne gagne plus (…) et redevient "indé" en 1962.

 

Palmarès de l'épreuve :


 

 

 

 

N.B. certaines lignes n'ont pas été renseignées par défaut de l'information. Peut-être, pourra-t-on les compléter par la suite…?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



08/03/2013
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